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Accueil du site > Afrique > Sommet Afrique-France : Les Maliens plus préoccupés par leur quotidien

jeudi 1er décembre 2005

Formation, emploi, réinsertion des anciens combattants, émigration, fuite des « cerveaux », le Mali a mis la jeunesse africaine, « sa vitalité, sa créativité et ses aspirations », au menu du XXIIIème sommet franco-panafricain. A Bamako, sous les banderoles de bienvenue aux couleurs de ses hôtes, le quotidien des Maliens reste marqué par la récente crise alimentaire. Les jeunes adultes piétinent à la porte du marché du travail. La norme, c’est plutôt le chômage. Le coton ne tient plus son rang d’or blanc. La guerre en Côte d’Ivoire a bousculé le commerce. La loi du marché fait grimper le coût de la vie.

De notre envoyée spéciale à Bamako

L’hivernage commence. Il a bien plu les semaines passées. « Dieu merci ! », les greniers seront moins vides que la saison dernière. En attendant que l’harmattan balaie les gaz d’échappement et les fumées qui se mêlent à la poussière, Bamako se voile sous le soleil de plomb qui argente le Niger. La cohue des taxis collectifs et les nuées de deux roues s’assagissent en files indiennes sur les deux ponts qui enjambent le fleuve. Le crépuscule n’éteint pas les feux des mille et un petits commerces qui tiennent lieu de gagne-pain à une majorité de citadins. Bamako reste affairée sous les bannières : « Le Mali accueille l’Afrique et la France ».

Hospitalité bambara

Bamako ne trahira pas le souci bambara de l’hospitalité, malgré un embrouillamini de dernière minute, mercredi soir, avec l’annulation surprise des réservations hôtelières de diplomates africains attendus pour la conférence ministérielle, après un pataquès concernant les villas d’hôtes construites pour le sommet. Dans l’après-midi, les voies principales de Bamako continuaient à faire des frais de toilettage. Classé parmi les plus pauvres de la planète, le frugal Mali reçoit avec la dignité d’un Sahélien. La piste de l’aéroport a été aménagée pour le ballet du week-end prochain. L’armée veille sur les hauteurs de la colline de Koulouba, le mirador naturel qui surplombe la capitale et où siège la présidence.

Le sommet lèguera au Mali un nouveau centre de conférence international financé par la France. L’Algérie et la Tunisie aussi ont apporté leur contribution. Reste à convaincre les quartiers surpeuplés de la métropole malienne qu’ils tireront quelque avantage des paroles échangées au sommet. Mais les tenants et les aboutissants du conclave franco-panafricain échappent largement aux habitants d’une capitale qui garde au cœur la mémoire de l’empire du Soudan, avec la descendance de ses pères fondateurs, les Touré et les Niaré, à Niarela et Bouzoula, leur fief de Bagadadji.

Jadis chefs de terre, les patriarches de ces familles Touré et Niaré d’illustre mémoire, sont aujourd’hui confinés dans des rôles de chefs de quartier ou d’imams. De génération en génération, certaines branches ont prospéré et répandu leurs patronymes dans la sous-région. D’autres végètent dans leur immuable carré de Bamako. Aujourd’hui, le grand chef des terres, c’est l’Etat. Et les bailleurs de fonds le pressent de privatiser tout ce qui peut l’être, à coup de Plans d’ajustement structurel (PAS).

Génération oubliée

La fonction publique ne recrute plus guère, pour cause de PAS. « La moyenne d’âge des fonctionnaires est d’environ quarante ans », s’inquiète Moctar. Le secteur salarié est réduit à une peau de chagrin. « Certains employés de plus de soixante ans s’accrochent à leur emploi pour nourrir leurs enfants chômeurs en âge de travailler », poursuit-il. Comme lui, les jeunes adultes se considèrent comme une génération oubliée, entre celle de leurs parents, déjà dans la vie active, et celle des enfants qui répondent aux critères internationaux définissant les « populations vulnérables ».

Sur l’ocre rouge de la terre malienne, la pluie est une bénédiction. Entre juin et août dernier, la disette s’est transformée en famine pour les plus mal lotis. Le « tô » quotidien, la pâte de mil des plus modestes, a vu son prix multiplié par deux . En même temps, les rations de riz ont diminué de moitié, avec l’envolée du prix du sac de 100 kilos, de 20 000 à 45 000 francs CFA. Mamadou garde un goût amer de la brisure de riz importée d’Asie en 2005, une première au Mali où la sécheresse et les criquets ont anéanti la récolte 2003-2004. Pourtant, la campagne précédente avait été prodigue, toutes céréales confondues. Mais l’abondance des récoltes avait fait chuter les prix payés aux producteurs. L’année suivante, les aléas climatiques et les prédateurs ont au contraire fait grimper les cours du riz à des niveaux astronomiques.

En matière agricole, la libéralisation remonte déjà au milieu des années quatre-vingt. Les intrants coûtent de plus en plus cher. Les petits producteurs peinent à payer leur redevance pour bénéficier des aménagements hydrauliques. Pour se lancer dans quelque entreprise agraire, planter des oignons ou transformer en jus ou en confiture les mangues qui pourrissent à la saison des fruits, Sékou estime à quelque 2 ou 3 millions de CFA l’investissement nécessaire. Mais sans apport personnel, à hauteur de 30% au moins, les prêts sont introuvables. A 28 ans, Sékou désespère de pouvoir réaliser son projet ou même d’employer son bagage agricole. A l’écoute des nouvelles venues de France à la veille du sommet, il s’interroge sur les mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour couper court à l’immigration. Même s’il n’envisageait pas lui-même de prendre la route du Nord, Sékou exprime de l’amertume.

Altermondialisme panafricain

« La coopération avec la France ne profite pas au peuple », tranche Moctar. Dans l’idée française d’une taxation des billets d’avions pour investir dans le développement, il voit « la démagogie des dirigeants du monde » qui défendent leurs intérêts. La libre concurrence est en train de brûler le coton malien. A 615 francs CFA le litre d’essence, les coûts de transport deviennent prohibitifs. L’accès au marché du travail se rétrécit paraît impossible aux générations montantes. Le problème, c’est trouver « un vrai travail » répètent deux jeunes colporteurs. Assis autour d’un thé à la menthe financé par la vente de colliers bricolés avec des perles de traite, ils se déclarent indifférents aux palabres sur les questions de développement. A la veille du sommet, ils se félicitent en revanche de voir les hôtels de la ville se remplir de possibles clients.

Plusieurs ONG maliennes ont choisi de défendre un point de vue alter-mondialiste dans un « sommet alternatif citoyen Afrique France », un rassemblement franco-panafricain organisé en contre-point au sommet des chefs d’Etat. Sans emploi productif fourni à une échelle suffisante, il n’y aura pas de développement, rappelle un participant. Il est vrai que le Mali ne paraît pas devoir tirer de profit durable de la kyrielle de petits projets montés par les très nombreuses ONG étrangères. Elles se sont multipliées depuis le début des années quatre-vingt-dix lorsqu’un harmattan démocratique a soufflé sur le pays. Pour leur part, les altermondialistes africains réclament que leurs Etats respectifs s’impliquent davantage, en particulier dans la création d’emplois. Les bailleurs de fonds imposent le contraire.

Monique Mas

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