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dimanche 15 janvier 2006

de Marie-Claude Aristégui

Saint-Louis de Montferrand. La Garonne rafraîchit une atmosphère qui n’en a pas besoin. Dans cet appartement, la salle de séjour est chauffée au gaz. Ailleurs, à l’électricité. Et dans les chambres, on grelotte car le compteur ne tourne plus.

EDF a réduit le jus, au minimum. Les locataires peuvent juste utiliser leur cuisinière. Les trois petits garçons de 4 ans, 2 ans et demi et 10 mois ont été rapatriés au rez-de-chaussée. Le bébé sanglote, tousse, hoquette. Une vilaine bronchiolite l’épuise depuis dix jours.

Dans le couloir, juché sur une échelle, un homme est en train de changer le fusible du compteur d’EDF pour que l’appartement soit de nouveau alimenté correctement. A priori, cela fait bidouillage. Pourtant le geste est très pro et avec son casque, sa tenue bleue, sa sacoche, cet homme ressemble vraiment à un agent de l’EDF.

Discrets. Normal, c’est un agent de l’EDF. Mais il fait partie des Robins des bois, ce groupe de salariés de l’entreprise qui, depuis 2004, rétablissent le courant chez les usagers. Quand, faute d’avoir payé leurs factures, ceux-ci en ont été privés par... la direction des Robins des bois. A savoir EDF. Parfois, c’est le même homme qui, en service commandé, débranche et revient un peu plus tard pour remettre en service le compteur.

Au début, la direction d’EDF a demandé la liste des familles concernées. Les Robins ont refusé. Depuis, disent-ils, « on ne nous en parle plus ». Mais ils restent tout de même discrets et ne déclinent pas leur identité. Sans pour autant agir masqués. Persuadés de la générosité et de la légitimité de leur action, ils oeuvrent sereinement, sur leur temps de repos en général et, parfois, quand il y a urgence, entre deux missions officielles.

Pour signer leur passage, ils posent sur les compteurs un autocollant bleu et vert siglé « Robin des bois EDF-GDF-Gaz de BDX ». Cela prouve aussi que l’usager n’a pas lui même effectué un branchement sauvage. Il arrive même que les Robins remettent aux normes un compteur trafiqué.

Faut-il le dire, les Robins des bois sont forcément bien accueillis. « Quand on rencontre des gens comme eux, qui vous aident, on se dit que finalement on n’est pas rien », s’exclame Florence, à Lormont. « Je suis une battante, j’aime bien plaisanter, rire mais au fond de moi tout est cassé, je pleure toutes les nuits. Je me dis : "Tu travailles mais tu n’es rien, tu ne sers à rien". » Grâce aux Robins des bois, Florence, 38 ans, mère de quatre enfants (« mais sans pension alimentaire ! ») peut faire tourner sa machine à laver et éclairer son appartement (lire plus bas).

Reste qu’elle devra un jour payer les factures d’EDF. Les Robins n’encouragent pas au non-paiement. Au contraire, chaque fois, ils expliquent qu’un rebranchement fera tourner le compteur. Et encouragent les débiteurs à envoyer des petits mandats. Pour nombre d’usagers, c’est la seule façon d’épurer la dette.

2 000 foyers en Gironde. En un an et demi, les Robins ont rebranché quelque 2 000 foyers en Gironde. Des assistantes sociales, des élus, des familles même prennent contact avec eux. Plus exactement avec l’association Droit à l’énergie (1), constituée pour servir d’interface entre les Robins et les usagers. En effet, au fil des mois, le groupe s’est structuré et le mouvement parti de Bordeaux a essaimé dans d’autres villes, notamment dans le Sud-Ouest.

Actuellement, en Gironde, quelque soixante agents CGT (d’EDF, de GDF et de Gaz de Bordeaux) forment le noyau dur. D’autres interviennent de temps en temps, à la demande des « camarades ». A EDF, il semble qu’aucun militant de la CGT ne soit farouchement hostile à cette action mais certains jugent toutefois qu’elle n’est pas prioritaire. A leur avis, le syndicat doit avant tout se mobiliser pour les salariés et pour la défense de l’entreprise.

De leur côté les Robins plaident pour une nouvelle stratégie syndicale plus ouverte vers l’extérieur. Rallier ces usagers à leur cause, est aussi, de leur point de vue, la meilleure façon de défendre l’entreprise et le service public. Joëlle Roné, trésorière de l’association Droit à l’énergie, admet que sur le plan législatif, « des avancées existent » en faveur des plus démunis, mais elle déplore que le moratoire sur les coupures ne concerne « que les gens ayant bénéficié d’une aide de précarité sollicitée auprès du Fond social logement (FSL, lire ci-contre). »

(1) Elle regroupe des militants CGT d’EDF et de Gaz de Bordeaux mais aussi de La Poste, de Connex, de mairies, de l’UDAF, des associations de chômeurs, Attac, la Ligue des droits de l’homme (liste non-exhaustive). Des élus apportent leur soutien à l’association et des travailleurs sociaux _ dont la présidente Marie-Colombe Musset _ qui ne sont pas forcément cégétistes en sont aussi membres. Contact : 06.73.88.25.63 et 06.73.88.25.35.

http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=22234

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