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mardi 24 janvier 2006

L’étape africaine du Forum social mondial (FSM) s’est achevée lundi soir dans la capitale malienne, au terme de quatre jours de rencontres et d’échanges entre délégations altermondialistes. Le forum doit se poursuivre à Caracas, au Venezuela. L’année prochaine, c’est la capitale kenyane qui accueillera l’étape africaine de la 7ème édition.

De notre correspondant au Mali

Paroles de femmes : « Vraiment, le Forum a été une bonne tribune pour nous les femmes », déclare Oumou Traoré Oumou Touré, secrétaire exécutive de la coalition des associations et ONG féminines du Mali. « La violence faites au femmes dans les ménages, dans les guerres, ont été dénoncées, et c’est une bonne chose », précise Awa Ouedraogo, une féministe venue du Burkina Faso. Paroles aussi d’hommes : « L’histoire retiendra que le Forum de Bamako, a semé les germes de l’espoir pour ‘une autre monde’ », indique un altermondialiste malien. « Nous avons démythifié les enjeux de la mondialisation », signe de son côté Abdourahmane Ousmane, un autre altermondialiste venu du Niger voisin.

C’est vrai que « sur papier », pour emprunter et traduire littéralement une expression de la langue locale Bamanan, les altermondialistes ont « terrassé » les thèses néolibérales. Chiffres à l’appui, ils ont démontré « qu’un autre monde est possible ». Morceau choisi : selon une étude réalisée par un universitaire congolais, il faut 80 milliards de dollars par an pour donner gîte, couvert, soins de santé et éducation aux habitants des pays pauvres du Sud. Or ces pays pauvres, remboursent bon an, mal an, 300 à 400 milliards de dollars, au titre du service de la dette extérieure. Au même moment, poursuit l’analyste, les pays développés dépensent annuellement en armement, environ 1 000 milliards de dollars. Réorientons donc les priorités, et le slogan « un autre monde est possible » deviendra alors... possible.

« Convaincre, par un raisonnement cartésien »

Incontestablement, cette grande kermesse des altermondialistes, la première à s’être tenue sur le continent africain, a fait preuve de maturité. D’abord, au niveau de l’organisation. Malgré quelques ratés, du reste reconnus par les organisateurs eux-mêmes. « Le bébé ne peut tomber des mains de celui qui le prend », précise Diadié Yacouba Dagnoko. Par ailleurs, les discours étaient plus structurés, plus élaborés, et on notait un réalisme dans les propos dénonçant les sempiternels adversaires : « L’impérialisme », « le néocolonialisme », « le capitalisme ». « Il n’y a pas forcément changement, mais évolution dans la stratégie. Nous savons que nous sommes écoutés par les pays riches. Notre objectif aujourd’hui, est de les convaincre, par un raisonnement cartésien, et non plus de nous présenter sous l’angle de tapageurs », confie, plus lucide que jamais, Nouhoun Kéita.

C’est sûrement pour « polir » leur image, que les opposants à la mondialisation ont voulu cette fois, donner tort à ceux qui leur collaient une image de « casseurs ». Que ce soit à la marche d’ouverture du Forum, ou lors d’autres « coups de gueule », aucun débordement notable, n’a été observé. « Nous avons nous-mêmes fait passer des mots d’ordre pour qu’il n’y ait pas de débordements, au grand regret de quelques altermondialistes venus d’ailleurs », reconnaît Ousmane Diallo, étudiant malien, membre du service « mobilisation » du Forum. Les altermondialistes, ont même goûté aux vertus de l’écologie et de la protection de la nature. Lors d’une des activités de la cérémonie de clôture de la rencontre, quelques centaines d’entre eux, ont planté des arbres.

« Le train 11 »

Trois autres thèmes fédérateurs au cours du 6ème Forum social mondial, « L’eau », « l’avenir de la jeunesse africaine », et « l’émigration ». Sur le premier point, parlementaires africains, européens, et responsables de mouvements sociaux ont avancé « main dans la main ». Leur raisonnement, très terre à terre, est convaincant : dans la plupart des pays pauvres, moins de 40% des populations ont accès à l’eau potable. Le reste de la population par « le train 11 » (à pied) effectue des dizaines de kilomètres par jour pour s’approvisionner en eau non potable. Or Avec environ 4 millions de francs cfa, un forage est vite installé. « L’appel de Bamako sur l’eau » est adopté.

La jeunesse de son côté, retranchée sur l’un des sites du forum baptisé « Camp International de la jeunesse Thomas Sankara », a posé ses problèmes, par ailleurs bien connus : emploi, inadéquation de la formation et de l’emploi, enrôlement des enfants mineurs dans les conflits. Clou de leurs activités : la mise sur pied d’un tribunal imaginaire chargé de condamner les responsables des maux dont souffrent la jeunesse du continent. Suivez mon regard.

« Passer le message aux français »

C’est en prenant la direction de l’ambassade de France à Bamako, que les quelque 2 000 altermondialistes, selon les témoins, ce sont notamment exprimés sur le dossier de l’émigration : « Sarkozy, non à ta politique », « nous exigeons le retour immédiat en France de tous les sans-papier expulsés », ou encore « non à la politique de sélection des visas », pouvait-on lire sur les banderoles, et les calicots. Les marcheurs n’atteindront pas la mission diplomatique française. « Marche non autorisée », selon la police. Quelques vociférations sont échangées entre les « pros » et les « antis ». Cependant, une délégation des initiateurs de la manifestation dépose officiellement une copie de leurs revendications. « Le plus important pour nous, c’est d’avoir fait passer le message aux français », déclare plus tard à RFI Thierry Bailly, membre du réseau No-Vox, qui regroupe plusieurs mouvements sociaux, et initiateur de la marche vers l’ambassade française.

Revendications sociales, mais aussi politiques au cours de cette rencontre où l’on a manifesté son soutien à la cause palestinienne. Les indépendantistes du Sahara occidental étaient également présents. Bruyants, ils n’ont pas hésité à apostropher des participants marocains, soutenus par des maliens défendant « la cause nationale ».

Et puis derrière le rideau de l’organisation du forum, il y eut le « off ». Querelles de chapelles, telle figure du mouvement taxé de « chef de file des néo-marxistes », telle autre taxée de « véreux ». Pour une « question d’éthique », un membre de l’organisation s’interroge : « Nous sommes indépendants. Devons-nous accepter la contribution donnée par des gouvernements ? N’y a-t-il pas un risque de récupération ? » En tout cas, de source proche de l’organisation du Forum, on a appris que le gouvernement malien a apporté une contribution de 150 millions de francs CFA alors que, dans l’escarcelle du comité d’organisation, Hugo Chavez, président du Venezuela, a déposé un chèque de 250 millions de francs CFA. Un chèque qui, lors de la préparation du forum, a fait l’objet d’empoignades sur sa répartition. En attendant, officiellement, le sommet a coûté environ 700 millions de francs CFA.

Comment faire bouger les choses ?

Voilà donc terminé ce forum et, avec lui, ce bouillonnement d’activités et d’idées qui a réuni, selon les organisateurs, entre 15 000 à 20 000 personnes. Voilà donc rangées pour le moment les banderoles et les calicots où ont fleuri les slogans « progressistes » : « non à la mondialisation », « la dette tue, tuons la dette », « l’Afrique n’est pas une marchandise vendre », etc. Mais reste une question : comment faire réellement bouger les choses sans véritable pouvoir de décision ? Comment mettre en musique toutes ces résolutions, tous ces vœux pieux, surtout qu’aucune résolution finale n’a été adoptée. Une idée originale a été trouvée : sur des feuilles volantes, les participants sont invitées à faire soit un résumé des propositions adoptées lors des différents ateliers « pour un autre monde », soit formuler eux-mêmes des propositions.

« Nous allons nous constituer en réseau, autour de ces propositions pour passer le flambeau à Nairobi 2007 (au Kenya), où se tiendra le 7ème Forum social mondial », explique Diadié Yacouba Dagnoko, principal pilier du Comité d’organisation du 6ème Forum. Il a, au cours d’une cérémonie, passé le témoin à la Kényane Wahu Kara, alors que des milliers de propositions « pour un autre monde », étaient déjà affichées sur des tableaux dans le hall d’un pavillon du Stade omnisports Modibo Kéita de Bamako.

par Serge Daniel - RFI
Article publié le 24/01/2006

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