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samedi 4 mars 2006

Les partisans de la criminalisation de l’immigration et ceux de la légalisation s’opposent.

Par Pascal RICHE

Washington de notre correspondant

le mois dernier, sous la pression des électeurs, la Chambre des représentants a voté, par 239 voix contre 182, une loi très contestée visant à freiner l’immigration : les élus entendent criminaliser l’entrée illégale sur le territoire et dérouler le long de la frontière mexicaine une clôture sécurisée. Coût prévu de ce « mur » : 2,2 milliards de dollars. Jeudi, le Sénat a commencé à débattre du sujet, dans une atmosphère passionnelle. Au sein de la commission des affaires judiciaires, « il n’y a à peu près aucun accord sur rien », a commenté son président, le républicain Arlen Specter. Il espère pourtant un vote avant la fin du mois. Le débat divise chacun des deux partis, et l’approche des législatives, prévues en novembre, l’envenime.

De nombreux sénateurs jugent l’approche de la Chambre des représentants à la fois rigide et démagogique. Pour traiter l’immigration illégale, disent-ils, il serait moins coûteux et moins hypocrite de légaliser une partie des immigrés illégaux actuels, quitte à sanctionner leurs employeurs. Comme George W. Bush, Specter suggère d’accorder aux illégaux des autorisations de séjour, et permis de travail, temporaires ­ six ans maximum ­, avant de les renvoyer chez eux. Deux sénateurs, le républicain John McCain et le démocrate Ted Kennedy, poussent, eux, un projet de légalisation permanente.

Fraises. On estime qu’un million d’immigrants entrent illégalement chaque année. Ils seraient aujourd’hui 11 millions dans le pays. L’économie américaine s’en accommode très bien : ils cueillent des fraises, emballent de la viande, nettoient les supermarchés, font la vaisselle dans les restaurants. Très peu d’Américains accepteraient leurs conditions de travail, et leurs salaires. Les employeurs, très peu contrôlés, sont ravis du statu quo. Jusque-là, les partisans d’une militarisation de la frontière ne parvenaient pas à se faire entendre. Bâtir un mur pour se protéger du monde latino est un symbole difficile à assumer dans un pays fondé par des immigrants. Mais ces dernières années, sur le terrain, la grogne xénophobe a grimpé. Certains groupes ont organisé des milices, les minutemen. Souvent armés, ils surveillent la frontière et signalent à la Border Patrol Police les immigrants qu’ils repèrent. Leur campagne est affûtée pour attirer l’attention des médias.

Sous cette pression, de nombreux élus se sont enflammés cette année pour l’érection d’une clôture sécurisée. Pour donner de la crédibilité au projet, la « guerre contre le terrorisme » a évidemment été invoquée. Selon T.J. Bonner, président du Border Patrol Council, le syndicat des gardes-frontière, une telle clôture ne représenterait pourtant pas le meilleur emploi des fonds publics : « Il serait bien plus efficace d’agir sur ce qui attire les immigrants ici : les emplois. Si on supprime l’aimant, on supprime le problème. Les patrons disent que ce n’est pas leur boulot de contrôler les papiers qu’on leur présente, et ils ont raison. Mais il serait facile d’imposer un permis de travail impossible à contrefaire. »

Vendeur. Politiquement, le mur est bien plus facile à vendre. Et il n’inquiète pas trop les employeurs, qui savent qu’il ne freinera pas grand-chose. Des clôtures sécurisées ont déjà été mises en place, dans les années 90, dans plusieurs zones urbaines : El Paso au Texas, San Diego en Californie ou Nogales en Arizona. Leur bilan n’est pas très probant. Les passeurs mexicains, souvent sans scrupule, poussent désormais les émigrants à traverser le désert de Sonora. Des centaines d’entre eux y laissent leur vie chaque année. Et selon le professeur Wayne Cornelis, spécialiste de l’immigration à l’université de San Diego, malgré ces différentes clôtures, 92 % des Mexicains cherchant à entrer illégalement aux Etats-Unis ont fini, tôt ou tard, par y parvenir...

http://www.liberation.fr/page.php?Article=364436

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