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lundi 20 mars 2006

Alors que l’Espagne et la Mauritanie viennent de réactiver un accord de rapatriement des clandestins, les migrants continuent d’affluer à Nouadhibou, la deuxième ville du pays qu’ils considèrent comme une porte ouverte sur l’Europe. Mais la réalité est tout autre.

Les arrivées par pirogues de clandestins subsahariens, au départ de la Mauritanie et à destination des îles Canaries, se sont multipliées ces dernières semaines. Du coup, l’Espagne a décidé de réactiver avec le pays africain un accord bilatéral de rapatriement des clandestins, signé en 2003. C’est ce qu’a annoncé, samedi, à Ténérife, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de la Vega. Qui a précisé que son pays allait rapatrier « immédiatement » 170 immigrants clandestins maliens, sénégalais et mauritaniens. Maria Teresa Fernandez de la Vega a indiqué que le contrôle des frontières allait être renforcé et des patrouilles conjointes mauritano-espagnoles mises en place.

Face à la « pression croissante » des migrants, le Premier ministre mauritanien avait demandé la semaine dernière l’aide de la communauté internationale. Selon les autorités locales, plus de 3 000 immigrants clandestins venus d’Afrique sub-saharienne ont été interceptés dans les eaux canariennes entre janvier et mars, soit une augmentation de 200% par rapport à la même période de l’année dernière. Selon le Croissant Rouge mauritanien, quelque 1 200 personnes se sont noyées entre novembre 2005 et la première semaine de mars 2006, en tentant la périlleuse traversée Nouadhibou-Ténérife. Quant aux autorités mauritaniennes, elles ont annoncé avoir appréhendé 600 candidats au départ au mois de février et évoquent le nombre de 10 000 migrants massés à Nouadhibou. « Il faut faire attention avec ces chiffres », précise d’emblée la géographe Armelle Choplin qui a réalisé plusieurs enquêtes de terrain sur les flux migratoires en Mauritanie. « On parle de 10 000 migrants à Nouadhibou mais tous ne veulent pas aller aux Canaries. Il faut savoir qu’à peine 5% des gens arrivent à passer. »

Le mythe du passage

Les Africains sub-sahariens qui se rendent dans la deuxième ville de Mauritanie n’ont pas conscience de ce qui les attend une fois sur place. « La majorité ne savent pas où se trouve Nouadhibou. De la ville, ils ne connaissent que le nom », explique Armelle Choplin. « Les migrants affluent, considérant Nouadhibou comme l’une des portes de l’Europe, convaincus que les Canaries ne sont qu’à quelques encablures. Mais la réalité est autre : les rives espagnoles sont bien loin et l’on ne passe pas - ou plus - à Nouadhibou », écrit-elle dans un article paru fin 2005, en collaboration avec Cheikh Oumar Ba, socio-anthropologue sénégalais.

Pour elle, Nouadhibou n’est plus une ville de transit mais le mythe du passage a la vie dure. « Il y a eu plusieurs phases. Avant la guerre du Sahara, qui a débuté en 1975, il était très facile de passer à pied ou par camion et il y avait déjà des clandestins. Dans les années 80 et début 90, on pouvait encore remonter facilement et les Africains étaient au courant de ce passage terrestre. C’est entre le milieu et la fin des années 90 que les migrants sont arrivés en plus grand nombre en Mauritanie. Et depuis 2000, leur nombre explose même s’il est très difficile d’avoir un chiffre précis. La question est aujourd’hui : pourquoi sont-ils autant à partir d’un coup ces dernières semaines ? »

Changement de parcours

Tout d’abord, le mythe du passage serait entretenu par les rares personnes qui parviennent à gagner l’autre rive. « Il suffit qu’un seul réussisse, pour entraîner les autres », précise Armelle Choplin. Qui évoque un faisceau d’autres facteurs. « Certains sont liés à la Mauritanie : depuis le coup d’Etat de 2005, il y a une sorte de ‘vent de liberté’ qui souffle dans le pays et dont les migrants ont entendu parler. Ils doivent se dire que c’est le moment propice. De plus, jusqu’à très récemment, le nouveau gouvernement ne s’était pas prononcé sur la question de l’immigration. Ensuite, la Mauritanie est un pays pétrolier depuis trois semaines. Il y a eu de grosses rumeurs sur la création d’emploi, qui sont fausses mais que l’Etat n’a pas démenti ! Enfin, la route Nouakchott/Nouadhibou est complètement opérationnelle depuis un mois et on peut y circuler depuis novembre dernier. » Avant, on mettait entre 12 et 36 heures pour parcourir les 500 km de piste sablonneuse. Le goudron ramène la durée du voyage à 7 heures...

Dans un contexte sous-régional plus large, la chercheuse rappelle que l’axe migratoire Agadez (Niger)-Tamanrasset (Algérie) est « complètement bloqué ». « Les contrôles ont été renforcés et les convois sont refoulés aux frontières. Les migrants sont très réactifs. Comme ils ne peuvent plus passer au centre, ils se sont reportés vers l’ouest. La politique marocaine est aussi de plus en plus dure et, côté Sahara occidental, il est aujourd’hui quasiment impossible de passer par voie terrestre. La frontière est minée, les postes de contrôle ont été renforcés et le Polisario arrête régulièrement les migrants. »

Nouadhibou-du-monde

On retrouve à Nouadhibou ces « aventuriers » qui veulent rejoindre l’Europe à tout prix. Mais ils seraient à peine 70% des étrangers présents dans la ville. Les autres sont des Africains des pays voisins qui choisissent de s’installer en Mauritanie pour des raisons économiques. Il y a aussi ceux qui, faute de pouvoir s’embarquer sur une pirogue ou un chalutier, se retrouvent coincés dans cette ville « cul-de-sac » comme l’appelle Armelle Choplin. « Les arnaques sont nombreuses. Nouadhibou, loin d’être le point de passage imaginé, se présente plutôt comme le lieu des rêves brisés. Ceux qui échouent se retrouvent sans argent et sont condamnés à travailler pour refaire leur vie. » Une douzaine de nationalités serait aujourd’hui représentée dans la cité côtière. Selon les chiffres récoltés par la chercheuse, les plus nombreux sont les Sénégalais (6 000), suivis des Maliens (5 000) et des Guinéens (3 000). Viennent ensuite les Bissau-Guinéens (3 000), les Gambiens (300), les Sierraléonais (500), les Nigérians (500) ou encore les Ghanéens (200) et les Burkinabés (200). Des réseaux de solidarité et d’entraide se sont mis en place pour accueillir les nouveaux arrivants. Les migrants occupent le centre-ville, où l’on trouve le quartier Accra, apparu en 1990, et Ghana Town...

Nouadhibou a toujours drainé une importante main d’œuvre étrangère du fait de son activité de port de pêche et de débouché pour les activités minières de la Société nationale d’industrie mauritanienne. De fait, face aux migrants et aux immigrés, « les autorités oscillent entre une hostilité indéniable et une certaine forme de tolérance », explique Armelle Choplin. « Pour les Maures comme pour les Négro-mauritaniens, le migrant est au mieux vu comme un travailleur, au pire comme un trafiquant de drogue ou un proxénète. Pourtant, les Mauritaniens ont bien conscience d’avoir besoin de cette main-d’œuvre étrangère bon marché. » De plus, le passage des clandestins « fait désormais partie des trafics forts rentables au dire des Mauritaniens qui résident dans la ville », les armateurs se transformant en passeurs et les Mauritaniens impliqués bénéficiant de la « compréhension » de la police locale. Pendant ce temps-là, sur les plages de « Nouadhibou-du-monde », comme l’ont surnommée les migrants, on continue de ramasser les noyés du rêve européen. On les appelle ici les « courbines », du nom d’un gros poisson pêché dans les environs.

par Olivia Marsaud - RFI
Article publié le 20/03/2006

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