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(L’Humanite 11/12/2004)

samedi 11 décembre 2004

Avant la fin de ce jour, 13 700 enfants de moins de cinq ans seront morts de la faim ou des conséquences de la malnutrition. Avant la fin de ce jour, et de tous les autres qui suivront. Ce chiffre hallucinant, mais bien réel, ressort du rapport 2004 sur l’insécurité alimentaire dans le monde, établi par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui estime à cinq millions par an le nombre des décès infantiles par insuffisance de nourriture. Ils constituent la moitié des morts dues à la faim (dix millions) à l’échelle planétaire.

Le rapport comptabilise 852 millions de personnes souffrant de malnutrition chronique pour les années 2000 à 2002, pour la plupart (815 millions) dans les pays en voie de développement. Mais, à l’heure de l’essor de la mondialisation libérale, le bilan des morts de faim est en augmentation de dix-huit millions par rapport aux années 1995-1997. La roue de l’histoire s’est mise à tourner à l’envers pour une partie grandissante de la population mondiale, pour les enfants du Sud qui apprennent par le miracle de la révolution informationnelle que des garçons et filles de leur âge, aux États-Unis notamment, sont menacés d’une épidémie d’obésité.

C’est donc au nombre de ces morts d’enfants à la hausse que se mesure l’accroissement de la fracture planétaire.

Et encore, chaque statistique ne chasse pas celles qui la précèdent. Les chiffres de la FAO s’ajoutent aux bilans d’ONUSIDA et de l’OMS sur la criminelle injustice en matière de prévention et d’accès aux soins. Fatalité que tout cela ? Les femmes et les hommes d’Afrique sont-ils condamnés à inhumer leurs enfants et à mourir plus jeunes que leurs propres parents ? Il y a bien quelque chose de pourri au royaume du marché mondial, qui vide les étals du Sud et engraisse les groupes transnationaux de l’agroalimentaire. Le beau mot d’ordre altermondialiste « Un autre monde est possible » ne tient pas du rêve, car, comme l’analyse le rapport de la FAO, faire reculer la faim n’est pas une tâche titanesque. « On sait comment s’y prendre pour mettre un terme à la faim, observait ainsi M. Hartwig de Haen, sous-directeur général de la FAO, responsable du département économique et social.

C’est une question de volonté politique et de priorité. »

Tout est là en effet. En premier lieu, il faudrait que par des mesures concertées « l’on améliore les disponibilités alimentaires et les revenus des pauvres en renforçant leurs activités productives ». Parallèlement, mettre en oeuvre « des programmes visant à donner aux familles les plus nécessiteuses un accès direct et immédiat à la nourriture ». Pour parer à l’urgence et endiguer l’hécatombe, le rapport préconise de « privilégier des mesures qui auront l’effet le plus immédiat sur la sécurité alimentaire de millions de personnes vulnérables ». Mais la baisse des cours des produits agricoles (la majorité des victimes de la faim vit dans des zones rurales) sous la pression des grands groupes du Nord, les programmes d’ajustement structurels du FMI, qui sapent les rares protections sociales et commerciales dans les pays les plus faibles, sont autant de facteurs d’enfoncement dans la misère.

Les coûts directs provoqués par la malnutrition, et qui pourraient être consacrés à d’autres défis sociaux, s’élèvent selon la FAO à quelque trente milliards de dollars, alors que chaque dollar investi dans la réduction de la faim rapporterait l’équivalent de cinq à vingt dollars. Question de volonté politique, donc. Il est intéressant, à ce propos, de compléter la lecture du rapport de la FAO en consultant celui que l’organisation humanitaire Oxfam consacre aux promesses non tenues par les pays riches. Alors que ces pays se sont engagés dans les années soixante-dix à consacrer 0,7 % de leur revenu national à l’aide publique au développement, celle-ci ne dépasse pas 0,25 % dans les vingt-deux pays occidentaux membres du comité d’aide de l’OCDE. Les pays riches, révèle Oxfam, dépensent deux fois mois d’argent pour l’aide publique au développement que dans les années soixante. Et on ose, aujourd’hui, employer sans honte le mot « communauté internationale ».

La chronique de Jean-Paul Piérot

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