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lundi 11 septembre 2006

UNE CRITIQUE POSITIVE DE LA « CHARTE POUR UNE ALTERNATIVE AU LIBERALISME »

voir le texte de la charte sur : http://www.la-gauche.org/article.php3?id_article=336

La Charte pour une Alternative au Libéralisme s’auto proclame dans son introduction « évènement politique important ». C’est je le pense beaucoup trop lui donner d’importance sous réserve de définir un contenu précis aux termes « évènement » et « important ».

SUR LA CRITIQUE DU SYSTEME ACTUEL

Il n’y a rien à dire, je partage intégralement le constat.

SUR LA PROBLEMATIQUE DE LA CHARTE

Là réside le vrai problème, celui qui a la fois détermine la faute stratégique et l’impasse à venir.

D’abord et cela figure dans l’introduction, on fait une part disproportionnées à deux évènements : le référendum sur le TCE le 29 mai 2005 et la lutte contre le CPE en mars-avril 2006.

Le référendum sur le TCE, quoique la victoire du NON soit un point positif est à largement relativiser... N’oublions pas qu’une partie de la droite et toute l’extrême droite ont voté NON... ce qui fait électoralement pas mal de monde. N’oublions pas non plus qu’une partie d’électeurs favorables au changement social ont voté OUI... mais oui ! Ce référendum n’est donc pas un indicateur fiable sur le degré de conscience des citoyens, à fortiori de leur combativité.

La lutte contre le CPE a été une victoire certes, mais bien maigre... Rien n’est résolu dans le domaine de l’emploi. Le CNE est maintenu. Les CDD et la précarité se généralisent. La déréglementation du marché du travail s’accélère,... La aussi, faire de cette victoire un moment essentiel et fondamental de la prise de conscience est aller un peu vite en besogne.

Après la cascade permanente de défaites depuis des années, mettre sur un piédestal ces deux évènements est humainement compréhensible, mais ridiculement et politiquement dangereux.

C’est aussi prendre ses désirs pour la réalité lorsque l’on écrit : « les forces politiques, associatives et syndicales qui ont été motrices de la victoire du Non au référendum, il y a un an, se retrouvent aujourd’hui pour proposer les bases communes d’une alternative au libéralisme. », alors que l’on sait que la division règne entre tous ces acteurs de la vie politique, syndicale et associative, alors que l’on sait que ces bases communes sont tout, sauf ... communes.

Cette attitude est significative du « rêve éveillé » que vivent nombre de militants alternatifs et contribue à les maintenir dans une croyance béate en une improbable victoire électorale.

SUR LES PROPOSITIONS

Soyons clairs, formellement de telles propositions devraient, au bas mot, récolter environ 80 % des suffrages... et je suis sérieux en disant cela. En effet ces propositions sont un catalogue complet de ce que à quoi aspirent la plupart des femmes et des hommes de ce pays. Et pourtant, ce qui est épouvantable c’est qu’un tel programme ne va avoir les suffrages que de quelques pour cent du corps électoral... et ce, malgré des efforts inouïs, je leur fais confiance, des militants qui vont s’en saisir. Est-ce une vision pessimiste ? Bien sûr que non, et la plupart de celles et ceux qui lisent cet article, savent, au fond d’eux-mêmes, que j’ai hélas raison.

Le problème, le vrai problème est là : comment un texte aussi clair, aussi précis, aussi convainquant, ne va convaincre que... les convaincu-e-s ?

Pourquoi en est-on là ? Que se passe-t-il ? Où est ce que ça bloque ? Qu’est ce qui bloque ?

Ces questions pourtant essentielles, personne, apparemment, ne se les pose. Les militants alternatifs les plus sincères, et j’en connais, ils sont nombreux, font comme si de rien n’était, s’emparent du programme et foncent tête baissée dans la campagne électorale, surs qu’ils sont d’avoir raison et que s’ils gueulent bien fort, font beaucoup de meetings, collent beaucoup d’affichent et distribuent beaucoup de tracts,... eh bien, ils arriveront à faire un bon score.

Quelle naïveté ! Décidément les erreurs du passé ne servent à rien.

SUR LE CONTENU DES PROPOSITIONS

J’ai eu la curiosité de refeuilleter un vieil ouvrage couvert de poussière sur les rayons de ma bibliothèque, le PROGRAMME COMMUN DE GOUVERNEMENT DE LA GAUCHE il date de ... juin 1972.... Ça ne nous rajeunit pas, du moins certains. J’ai été frappé par la similitude de ton et des propositions. Bien sûr, les deux documents ne sont pas identiques, les situations pas tout à fait non plus, mais il y a un petit air de famille.

Rappelons nous l’immense espoir qu’a soulevé ce document... Il a fallu tout de même attendre 9 ans (1981) avant que la Gauche arrive au pouvoir et y reste presque 20 ans.

Que reste-t-il de tout cela en 2006 ? Pour éviter de vous démoraliser en cette rentrée je préfère vous laisser doucement deviner.

°

Il n’est pas possible dans un article de reprendre toutes les propositions de la CHARTE, mais examinons en quelques unes, les plus significatives.

Par exemple sur les salaires : « Une nouvelle politique fondée sur des principes clairs. Il faut rendre effectif le droit à l’emploi. Pour cela, un nouveau statut du salariat est nécessaire, reposant sur trois grands principes : continuité du contrat de travail, obligation de reclassement, financement mutualisé à la charge des entreprises ».....

Dans le système du salariat le droit au travail est un leurre. Mais que veut dire « « un nouveau statut du salariat »... au sein même du système marchand salarial ?

Une telle mesure nous est présentée comme une évidence, comme quelque chose de « technique » qu’il suffit de décider... Même si formellement cela semble « couler de source », le problème est beaucoup plus complexe car derrière une entreprise, et l’emploi il y a toute la logique d’un système dont l’objectif n’est absolument pas de satisfaire le salarié, le reclasser et faire payer l’entreprise pour assurer son confort social. En l’absence de toute dynamique de remise en question de ces principes, cette proposition est un « vœux pieux ».

« Mais, va-t-on me rétorquer, les salariés sauront bien faire valoir leurs droits » ! Ah bon, et comment ? En faisant grève, en occupant l’entreprise, en séquestrant le patron, en manifestant dans la rue, en portant une motion au préfet, ... Allons, soyons sérieux ! Et après que fait-on si le patron refuse et délocalise ? On demande un nouvel investisseur comme on le fait aujourd’hui ?

Comme le dit la CHARTE, « Les principes sont clairs », ça c’est bien vrai, le problème c’est que la stratégie globale pour les faire appliquée, elle, ne l’est pas du tout, je dirais même qu’elle tout simplement inexistante.

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Le passage sur les licenciements est particulièrement intéressant :

« ...Les licenciements boursiers seront interdits par voie législative et les licenciements abusifs frappés de nullité avec obligation de réintégration... » Qu’est ce qu’un « licenciement boursier » ? C’est un licenciement consécutif à des exigences de rentabilité imposé par un nouvel actionnaire et qui entraîne des restructurations, voire la disparition d’un ou plusieurs secteurs de l’entreprise.

Soyons clair, cette mesure est une atteinte directe à ce qu’est le capitalisme : rentabilité du capital et liberté de décision des actionnaires.

On peut bien sûr être pour, le problème est tout de même comment le faire respecter et surtout comment faire en sorte qu’il n’y ai pas un véritable boycott de l’espace économique soumis à une telle règle.

Si le capital international « retire ses billes » de l’économie française, le remède sera pire que le mal. Je rappelle que les capitaux étrangers représentent au bas mot 40% du capital des entreprises du CAC40 et que l’essentiel du capital français est privé.

A-t-on les moyens politiques d’affronter une telle situation ? J’en doute.

Je constate d’autre part que le terme de « licenciement économique » n’est pas utilisé. Quel lien fait-on avec les « licenciements boursiers ». Est à dire qu’en dehors des deux types de licenciements cités, on acceptera tous les autres ? Comment va-t-on faire la différence ? Comment va-t-on identifier des licenciements dits « abusifs ». Le fait de rechercher la rentabilité du capital est-ce un abus ?

°

Le sort des délocalisations pose également quelques questions... « ...Les délocalisations doivent faire l’objet d’un contrôle, avec, là aussi, création d’un droit de veto suspensif des représentants du personnel, et d’un droit de préemption, voire de réquisition par les salariés et/ou la collectivité des entreprises abandonnées par leurs patrons pour cause de délocalisation ou de suppression d’activité. »...

Il est évident que ce « droit de veto » des représentants du personnel condamne toute délocalisation. Quant à la préemption, c’est-à-dire la confiscation, se fera-t-elle avec ou sans indemnisation ? Cette décision, si elle est prise par un loi (votée par qui ?) sera invalidée par le Conseil Constitutionnel... Irons nous jusqu’à passer outre de cette décision ? Dissoudrons nous le Conseil Constitutionnel ou changerons nous la Constitution... décisions qui devra être pise en Congrès du Parlement. Le Sénat sera hostile, supprimerons nous le Sénat ?

Outre ces problèmes de droit, se posera la question de la réaction du capitalisme à l’échelle internationale et sa défiance qui va être particulièrement virulente.

Ce que je dis là est très sérieux, c’est le contexte dans lequel nous sommes et qui va se créer.

La question est encore une fois : a-t-on les moyens politiques d’enclencher un tel rapport de force qui ira au conflit social et politique majeur ?

°

On pourrait continuer à passer en revue toutes les propositions, en particulier sur les salaires, le chômage,... Se serait long et fastidieux.

A toutes les étapes de la CHARTE, à propos de toutes les propositions et en particulier sur le plan économique la question est et demeure :

Dans l’état actuel du pays, de notre société, de la conscience collective, peut-on assumer et dépasser ce genre de situation conflictuelle qui s’instaurera ?

La réponse, pour ma part est négative, car la CHARTE oublie l’essentiel.

L’ERREUR STRATEGIQUE DE LA CHARTE

En introduction, la CHARTE, suite à une longue et tout à fait juste liste des méfaits du système en place annonce :

« C’est cela qu’il faut changer. Cela suppose de contester la logique du libéralisme et de lui opposer d’autres finalités et d’autres méthodes ».

Cette phrase est lourde de sens. En effet, dit comme cela c’est faire du libéralisme, un système... ce qu’il n’est pas. Le système, c’est le système marchand, avec sa logique, ses principes et ses lois. Le libéralisme n’est qu’une manière de concevoir la gestion de ce système. Confondre les deux c’est passer à côté de l’essentiel et glisser du côté de la gestion, pas du changement.

Ce qui est contesté ici c’est la gestion du système, pas ses principes. Là est l’erreur fondamentale. Car une telle conception implique une attitude politique concrète, celle d’être à même de rendre compatibles les principes de fonctionnement du système et les propositions... ce qui est, l’Histoire nous le montre, illusoire.

Ce type de raisonnement aboutit à dire des choses aussi rocambolesques que « Interdiction des licenciements » ou « L’augmentation des salaires va relancer l’activité économique ». Ces deux slogans sont certes politiquement et électoralement parlant, porteurs, mais totalement illusoires... ce que la Droite et les sociaux libéraux ne vont pas, à juste titre, manquer de souligner.

Sur un plan stratégique la CHARTE n’a pas plus de valeur que le programme du PS. Pourquoi ? C’est très simple :

Le PS sait qu’il peut être amené à accéder au pouvoir, il sait que, se faisant, il respectera les principes du système marchand, il fait donc des propositions qu’il sait compatibles avec le système sinon il ne tiendra pas deux mois au pouvoir... il a déjà fait l’expérience du pouvoir et connaît les limites de la gestion.

Les partisans de la CHARTE, du moins les leaders, déclarés ou non, savent, à moins qu’ils soient totalement naïfs, qu’ils n’iront pas au pouvoir, se faisant ils ne remettent pas en question les principes du système marchand, mais ils peuvent faire n’importe quelle proposition sachant qu’ils n’auront pas à se confronter à la réalité du système marchand en situation de pouvoir.

Les problématiques, dans les deux cas sont identiques : faire des propositions dans un cadre que, concrètement, par une pratique sociale effective, on ne conteste pas. Dans les deux cas les démarches sont électorales. Dans les deux cas propagandistes avec la différence que le PS est prudent alors que les « chartistes » peuvent se laisser aller.

Cette CHARTE, particulièrement alléchante est en total décalage avec non seulement le système marchand dominant, mais aussi avec les capacités politiques de changement de la population.

Le « mouvement social » n’est en rien un mouvement de contestation globale du système, il est simplement un mouvement revendicatif, pas homogène, n’ayant comme expression que des formes désuètes à efficacité limité : manifestation, grèves le plus souvent sectorielles, pétitions,...

Nous n’avons pas un peuple de citoyens au sens plein du terme, encore moins de révolutionnaires, nous avons un peuple d’électrices et d’électeurs, c’est à dire des gens passifs, parfois revendicatifs mais essentiellement passifs, qui se déterminent depuis des années en fonction de propositions, de promesses faites par des marchands d’illusions. L’expérience du Front Populaire, de la Libération, de Mai 68 sont là pour nous le rappeler.

Même dans le cas hautement improbable ou un-e candidat-e unitaire serait élu-e et voudrait appliquer la CHARTE, non seulement les mécanismes nationaux et internationaux du système l’empêcheraient, mais la majorité de celles et ceux qui l’ont élu ne se donneraient même pas les moyens de garantir cette application. Ceci est tellement vrai que la plupart le ressentent et voteront autre chose.

ALORS ?

Ce qui vient d’être dit est peut-être terrible et affligeant, mais c’est la triste réalité. Vouloir et s’obstiner à ne pas la voir nous réduit à l’impuissance et nous fait courir à la catastrophe.

C’est à une remise en question totale de la pratique politique à laquelle nous devons procéder et pour cela inutile de compter sur les organisations politiques traditionnelles qui sont beaucoup trop intéressées aux cuisines politiciennes et électorales et structurellement déterminées à une pratique politique conforme finalement aux intérêts du système que nous voulons abattre.

Il faut se rendre à l’évidence et tirer les enseignements de l’Histoire, le changement de système ne peut pas avoir lieu spontanément. Ce n’est pas à la suite d’une quelconque grève générale, encore moins d’une hypothétique insurrection, sans parler d’une élection que l’on peut changer de système. Changer de système, fonctionner sur d’autres valeurs ne se fait pas du jour au lendemain, cela demande une évolution des esprits, des consciences et cette évolution ne peut se faire, s’acquérir que par une pratique sociale

L’Histoire nous montre en effet qu’un système est remplacé par un autre système et que le nouveau système fait « ses armes » dans l’ancien... c’est comme cela que la Bourgeoisie, après avoir pris le pouvoir économique, a pris le pouvoir politique,... pas l’inverse.

Le système marchand, et plus particulièrement dans ce que furent les pays industriels développés est entré en décadence, ne serait ce que parce qu’il est de moins en moins capable de créer du lien social, il ne crée plus seulement de l’exploitation mais de plus en plus d’exclusion. Il perd son sens aux yeux de plus en plus de gens. Il n’est plus capable, du fait de la mondialisation des marchés, de s’acheter la paix sociale si nécessaire à son fonctionnement. Là est sa faiblesse principale.

Vouloir l’affronter brutalement sans préparation finira dans un bain de sang et vue sa configuration mondiale, rien ne dit que nous serons capables, en cas d’hypothétique, et peu probable, victoire, d’édifier ce que nous souhaitons... Là aussi, l’Histoire nous recommande d’être prudent.

Dans sa décadence le système induit de nouvelles structures et doit susciter, involontairement, de nouvelles structures. Certaines sont déjà anciennes et n’ont jamais fait véritablement leurs preuves dans un capitalisme triomphant, comme par exemple les coopératives. Ces nouvelles structures, ces nouvelles manières de fonctionner, de repenser l’activité économique, qui se trouvent aujourd’hui essentiellement dans l’agriculture doivent être encouragées, popularisées, aidées. Là peut se forger concrètement de nouvelles solidarités. Le développement, la fédération de ces structures pourra par exemple être d’une aide politique et économique inestimable dans le cas ou, dans l’industrie des salariés reprendront leur usine. L’expérience accumulée dans les secteurs où fonctionnent ces structures sera déterminante dans l’âpre lutte qui s’annonce contre le système.

Un changement de système ne se fait pas, pas plus par un claquement de doigt que par une majorité électorale. Arriver au pouvoir sans préparation d’une pratique sociale abouti soit à la gestion du système en place (expérience des Gauches), soit au totalitarisme (Révolution russe, chinoise,...).

En conclusion de tout cela. Il est évident que c’est l’échec électoral assuré... une nouvelle fois et ce, qui que ce soit qui soit porteur d’un tel programme... l’hypothétique et improbable candidat unitaire alternatif et altermondialiste.

Tant que nous nous obstinerons à poser le problème du changement social de cette manière, nous n’avancerons pas... la voie électorale a toujours été une impasse, elle le demeure.

Faire confiance aux organisations politiques est politiquement suicidaire. Pourquoi ? Mais elles sont incapables de penser le politique autrement qu’au travers de la politique, qu’au travers de leurs magouilles ridicules d’appareils, maquillées en débat politique, qu’au travers d’une stratégie électorale par ambition du pouvoir.

Personnellement je ne gaspillerai pas la moindre énergie pour faire passer cette « CHARTE ». Je ne me déplacerai même pas le jour des élections... j’ai une trop haute opinion de la fonction de citoyen pour la dénaturer dans ce genre de stupidité.

Patrick MIGNARD

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