Pa l'arbre
Accueil du site > Afrique > Mauritanie Janvier 2008

mercredi 20 février 2008

J’ai rédigé quelques lignes après mon dernier séjour en Mauritanie ; j’ai promis aux uns et aux autres (Mauritaniens) avec qui nous parlions que je ferais savoir que la Mauritanie était calme et voulait garder les liens (touristiques et autres) avec la France... Alors, si vous pouvez faire suivre ce texte à d’autres, merci...
Amicalement
Chantal

Mauritanie Janvier 2008

Après le meurtre de quatre touristes français, le ministère des Affaires étrangères déconseille fortement « à tous les Français de se rendre en Mauritanie quel que soit l’objet de leur déplacement (tourisme, évènement sportif...) ».Le Paris-Dakar est annulé. Les tour-opérators proposent des destinations différentes : Djanet !!! Djanet pour éviter le terrorisme mauritanien , alors qu’en novembre 2007, l’aéroport a été attaqué par des militants du GSPC liés à Al Quaida....Voilà qui pose question...

Après un coup de téléphone sur place auprès d’amis français et d’amis mauritaniens qui nous assurent que tout est tranquille là-bas, nous partons malgré tout , comme prévu , Marc le 3 janvier, moi le 13 ;l’objectif étant une mission médicale dans l’oasis de Maaden, suivi d’une tournée dans quelques autres oasis.

A l’arrivée, nous sommes accueillis à bras ouverts par les Mauritaniens, catastrophés de voir brutalement leur pays sans le Paris-Dakar (je reviendrai tout à l’heure là-dessus), sans les touristes randonneurs, sans les humanitaires. C’est le désert....(c’est le cas de le dire...).

Le Paris-Dakar, je ne le regrette vraiment pas ; j’ai vu les pistes labourées au Sud du Maroc et en Mauritanie ; non remises en état après leur passage, j’ai vu l’aéroport d’Atar en 2007 servant d’étape aux participants , l’huile des vidanges versée sur le sol, j’ai vu les mini-boutiques mauritaniennes approvisionnées jusqu’au plafond de caisses de boissons insolites ici (jus de fraises et autres...) dans l’espoir que ceux du Paris-Dakar viennent consommer ...Or toute l’intendance (copieuse alimentation occidentale, vin et alcools compris, camions de pièces détachées, stocks de pneus neufs, de quoi hanter les rêves des garagistes du pays qui fonctionnent à la débrouille) suit le rallye et bien rares sont ceux qui ont la curiosité de regarder comment vivent les Mauritaniens ! Le Paris-Dakar rapporte quelques millions à l’état mauritanien sous forme de droit de passage et comment savoir à quoi sont attribuées ces sommes ?

Les touristes-randonneurs ? C’est, il faut le reconnaître, une race sympathique qui pollue le moins possible (hormis, il est vrai, le voyage en avion...), qui respecte la nature et apprend à la connaître et qui a des contacts, certes -limités par le temps et l’organisation- avec la population, mais des contacts sympathiques et positifs. Il me semble important que les femmes des oasis continuent à savoir qu’il existe des femmes non voilées, des femmes et des hommes qui savent se comporter humainement sans faire référence à Allah pour justifier chacun de leurs actes, des gens capables d’avoir une éthique sans avoir une religion. Si ces regards croisés cessent , quelle image restera-t-il par exemple de la femme en Europe ? celle que transmet certaines images internet ou les feuilletons télévisés ?

Les ONG ? Lisez « Frontières », de Sylvie Brunel et vous aurez une analyse complète du système et de ses perversions.

Bien sûr, tourisme et humanitaire doivent être repensés mais supprimer brutalement -comme l’ont voulu les déclarations du Quai d’Orsay -le Paris-Dakar (qui , malgré ces conséquences graves, garde une certaine côte auprès des Mauritaniens), le tourisme du désert et la venue des ONG est une catastrophe économique pour l’Adrar (région d’Atar).

L’an passé , je me disais que le peuple mauritanien récoltait très peu de cette manne touristique , l’essentiel allant aux tours opérators, et aux transporteurs aériens non mauritaniens...mais force a été pour nous de reconnaître que ce « très peu » est VITAL pour la région . Les chameliers, les guides, les épiciers, les jardiniers, les aubergistes sont touchés....et leur nombreuse famille. N’oublions pas que, outre le nombre élevé d’enfants qui correspond à un choix (résultat de très anciennes traditions et de l’islam) , les responsables de famille ont aussi à leur charge, la grand-mère, le neveu orphelin, le cousin déplacé pour une raison ou une autre.

La catastrophe économique est donc bien là et, pour enfoncer le clou, ne voilà-t-il pas qu’un règlement de comptes, probablement mafieux, début février, à Nouakchott dans une boîte de nuit proche de l’ambassade israëlienne est aussi interprété comme l’œuvre d’Al Quaida.... Vrai ? Faux ? La peur suscitée donne raison aux terroristes. Ils gagnent sans avoir rien à faire...

Et la catastrophe n’est pas qu’économique. C’est un choc moral ; les Mauritaniens qui pratiquent jusqu’à présent un islam modéré et tolérant sont vexés d’être pris pour des criminels extrêmistes :

« Nous ne voulons pas de la violence.
- Ces gens qui ont tué ne sont pas de notre sang.
- Les Français ont eu peur mais nous aussi nous avons peur de ces gens-là (comprendre des des terroristes, peut-être même des intégristes...mais les mots ne sont pas exprimés)
- Nous savons ce que nous devons à la France ; ce sont des gens comme Théodore Monod, Odette du Puigaudeau, Hubert Reeves, Jean-Marc Durou, qui ont fait aimer le désert, le pays et notre civilisation. »

Il est vrai que dans ces hommages aux Français, célèbres ou touristes ou humanitaires, il convient de lire le désir bien normal (il faut manger) de renouer des liens qui « rapportent » ; 95% des touristes là-bas sont français et les ONG humanitaires, surtout françaises, assurent une très grande partie des soins médicaux ; que restera-t-il si la situation perdure ?

En tout cas, beaucoup se rendent compte que « nous sommes tous les jouets des puissants (hommes d’argent ou/et hommes politiques) » ; des bruits circulent ; sur Bolloré qui n’aurait pas supporté la concurrence (sic) sénégalaise sur le transport du matériel du rallye, sur le gouvernement français qui voudrait punir la Mauritanie de signer des contrats avec l’Algérie et la Chine et l’Espagne, sur le souhait actuel de la France de plaire à l’Algérie plus qu’à la Mauritanie...etc...tout dans ces rumeurs n’est pas cohérent mais on y sent une volonté d’analyser la situation ; ici le plus petit des Mauritaniens n’est pas dupe des manipulations des « grands » capables de faire crever de faim du jour au lendemain une région ou un pays tout entier....

En dehors de ce problème actuel, il reste à réfléchir aussi à la situation pérenne dans le pays

On ne peut que déplorer que se soit installée dans les oasis une agriculture de marché ; on y récolte des carottes trois mois par an ; elles sont vendues à Nouakchott et leur prix varie de 1 à 15 en fonction de la demande et de la production) ; une agriculture d’autosuffisance serait certainement plus sûre : L’habitude de la monoculture s’est installée après la sédentarisation des nomades qui résulte des grandes sécheresses et des incitations des colonisateurs. Déplorable aussi l’entrée en douceur des produits étrangers qui cassent les produits locaux ; pour quelle raison l’Arabie Saoudite vend-elle, assez bon marché, ici du lait en brique alors que chèvres et chamelles semblent encore suffire ?

Comment se fait-il que dans un pays de seulement 3 millions d’habitants, où il y a du pétrole (on raconte que l’exploitation tarde, qu’il y en aurait moins que prévu, mais alors pourquoi Total et l’Algérie se battent-ils sur le marché ??), où il y a du fer, du poisson, des dattes, du tourisme, de l’or, des métaux rares que la pauvreté soit si pesante. Comment se fait-il que le Mauritanien ne puisse envisager un avenir serein alors que des sociétés anglo-saxonnes ou autres prospectent sur de très grandes surfaces à la recherche des richesses minières. L’espoir n’appartient pas à tout le monde. Le PIB nous donne quelques indications mais peu importe : comment sont réparties les richesses ici ? Telle est la question.

Peu importe aussi les salaires, peut-on dire au risque de choquer : dans un pays où l’Etat prend si peu en charge, la santé et les routes et l’eau, dans la mesure où il les laisse, émiettés, aux bons soins des ONG, parfois de l’Union Européenne, souvent inexistantes, en effet dans un tel Etat, que signifie gagner 30, 50 ou 100 euros ? Un seul malade dans la famille nécessitant des soins, et à ce moment-là tout le budget familial est déséquilibré, consommé et l’insuffisance alimentaire et l’anémie sont à la porte du tikit (la maison). Et comment se fait-il que l’importation des médicaments par les ONG soit interdite. ? Il leur est demandé d’acheter leurs médicaments à une centrale à Nouakchott Protection des malades ?? Pression des laboratoires de tous pays (de préférence occidentaux, d’ailleurs) ? Choisissons l’hypothèse qui nous paraît la plus probable.... Et par-dessus le marché( sans jeu de mot), reste à évaluer chaque année l’avancée des dunes et à faire raconter par les gens du village comment la route dallée qui existait en 1980 de Ouachada à Maaden , et qui n’est qu’un exemple, a complètement disparu sous le sable ; reste à regarder les palmiers qui disparaissent, les volets qu’on ne peut plus ouvrir...

Voici un peuple qui, selon les études de Monod, n’a rien consommé, rien usé pendant des millénaires. Peut-on trouver plus économe de l’eau et des matières de base que le Mauritanien-type ! et voilà que c’est ce peuple-là qui paye les pots cassés de la consommation du reste du monde et des changements climatiques...

Du changement en Mauritanie, oui, il en faudrait mais de quelle manière ?

 RSS 2.0Suivre la vie du site