Pa l'arbre
Accueil du site > France > Pour soutenir l’oeuvre salutaire d’Alliot-Marie, la Brigade Activiste des Clowns frappe un grand coup. Heureux renfort !

mercredi 10 décembre 2008

Elle est efficace, mais ne peut penser à tout. Quand Alliot-Marie dénonce la possession de livres sulfureux par les membres de « la mouvance anarcho-autonome », elle oublie que ces ouvrages sont disponibles en bibliothèque. Pour lui prêter main-forte, la Brigade Activiste des Clowns a décidé de s’en charger. Et s’est rendue hier à la bibliothèque du Centre Pompidou pour organiser un autodafé de livres interdits. Article11 y était.

Tout était pourtant si bien parti... Une minutieuse enquête de police, ou peu s’en faut. Un rôle moteur joué par une ministre de l’Intérieur se rêvant croisée partie en guerre contre l’internationale du terrorisme autonome. Et neuf suspects au cachot, coupables parfaits qui allaient payer pour leurs crimes.

Las...

Trois fois las...

Le soufflé de Tarnac s’entête à retomber, gâteau trop vite monté et bientôt réduit à peau de chagrin. L’enquête s’effiloche, vaste rideau de fumée qui ne laissera bientôt plus voir que les trous béants d’une accusation sans biscuits ni preuves. Michèle Alliot-Marie se ridiculise, qui se raccroche aux branches d’un ouvrage et de quelques tracts pour étayer ses fantasmes sans fondements. Et la justice fait le jeu de l’ultra-gauche en libérant un à un presque tous ceux qui avaient été soupçonnés d’actes contre-nature sur les catenaires.

Un constat intolérable pour les membres de la Brigade Activiste des Clowns (BAC). Tous fiers patriotes en nez rouge, ardents supporters de la mission de salubrité engagée par l’auguste présidentiel et ses sbires, ils se sont décidés - une fois de plus - à revêtir leurs costumes de scène pour rappeler à chacun l’importance de la chasse aux gauchistes. Symboliquement, ils l’ont fait en l’immense bibliothèque du Centre Pompidou, que d’aucuns considèrent comme un antre du savoir quand eux savent qu’elle est surtout le lieu idéal où se procurer et compulser des ouvrages dangereux et nuisibles à la cohésion nationale.

« Il y a des ouvrages qui sont mauvais et dangereux, des livres qu’il ne faut pas avoir chez soi si on ne veut pas se retrouver qualifié de terroriste dans la presse. Et nous, on pense comme la presse... », résume le clown Bobino, poursuivant : « On voulait faire quelque chose pour marquer notre soutien à Michèle Alliot-Marie, qu’on trouve vraiment perspicace. (...) Et expliquer aux gens, surtout s’ils sont usagers de bibliothèque, qu’ils ne doivent pas se mettre en danger, risquer leur santé mentale ou leur place dans la société en lisant n’importe quoi. On s’est dit qu’il fallait mieux les prévenir, quitte à leur arracher les livres dangereux des mains pour les brûler devant eux. »

Une salutaire piqure de rappel. La chose était organisée hier en fin d’après-midi, au cœur d’une vaste salle de bibliothèque du Centre Pompidou. Un lieu calme et studieux, jusqu’à ce que plusieurs nez rouges se lèvent des sièges où ils attendaient sournoisement leur heure, éparpillés dans la pièce. Qu’ils se regroupent, après avoir remonté les travées de leur démarche chaloupée de clowns empruntés, sous les regards interloqués des centaines de lecteurs. Et qu’ils débutent leur œuvre de purification, choppant un ouvrage licencieux ici, un livres dangereux là, bouquins tout juste bons à être déchirés et à partir en fumée en un autodafé de salubrité publique.

A l’heure dite, les membres de la Brigade Activiste des Clowns accourent des quatre coins de la salle, les bras chargés de bouquins dangereux.

Les choses sérieuses peuvent commencer : le clown Capsule, sous des centaines de regards interloqués, inflige à un livre séditieux le traitement qu’il mérite : la mort par déchirement vertical !

Les ouvrages licencieux sont rassemblés avant que d’être brûlés. Une indispensable cérémonie d’exorcisme contre tous les viatiques et autres bibles de l’ultra-gauche terroriste.

Dans la poubelle destinée à partir en fumée, des dizaines de livres sulfureux : « Touche pas à ma catenaire ! », « La désobéissance civile » par Henry Thoreau, « Le droit à la paresse » de Paul Lafargue, « Le sabotage des trains sous l’occupation » par Henri Krasuki, « La société du spectacle » de Guy Debord, « L’insurrection qui vient » du Comité Invisible ou encore « L’anarcho-autonomie pour les nuls ».

Vient l’heure de l’autodafé : aspergés d’essence, les livres vont être brûlés en un bûcher salutaire. Enfin... presque [1].

Victoire ! L’ultra-gauche vient de s’en prendre plein les dents...

Une fois ce joli coup effectué, c’est l’heure de la retraite. Martiale et digne, évidemment.

Pas sûr que les centaines de spectateurs de l’opération aient tous compris ce dont il s’agissait. Mais ceux qui se donneront la peine de chercher un brin et de se documenter sur la Brigade Activiste des Clowns découvriront que ses membres n’en sont pas à leur premier coup d’éclat. En décembre 2004, ils montaient un autel de dévotion devant l’hôpital du Val-de-Grâce, jolie façon de soutenir un président Chirac diminué par une opération. En novembre 2005, ils nettoyaient la mairie de Neuilly au carcher, efficace moyen de renvoyer le futur président à ses obsessions pour la racaille. Et en février 2006, ils participaient aux manifestations contre le Contrat Première Embauche, faisant signer des Calvaires Pour l’Employé pour le compte de l’Agence Nationale Première Débauche.

Cousine proche du Clandestine Insurgent Rebel Clown Army, armée de clowns créée en Angleterre en 2003, la BAC pratique ainsi l’activisme par l’absurde, la dénonciation par la dérision. Habillés mi-clown mi policier, ses membres tapent du bout de leur nez rouge là où ça fait mal, dénonçant les excès sécuritaires et technologiques d’une société qui ne rit plus beaucoup. Ils touchent juste, toujours. Pas un hasard : les membres de la BAC répètent, travaillent, préparent leurs interventions. Des happenings à la fois foutraque et parfaitement organisés, qui empruntent autant à l’absurde des Yes Men qu’à l’activisme de Reclaim The Streets et où les clowns laissent cours à une certaine folie. Mais pas que :

« Etre clown, c’est d’abord un état d’esprit, une capacité à se lâcher et à briser les dogmes sociaux. Chacun est susceptible de faire sortir le clown qui est en lui. Il faut juste endosser un nez rouge, et hop, tu vois le monde autrement. Entre nous, on appelle ça une nez-ssance, explique Capsule. On se réclame d’une action directe non violente pour recréer du lien social, ré-enchanter le monde. Il s’agit d’être imprévisible, et donc incontrôlable. Les flics ne savent pas comment nous gérer, parce qu’on remet en cause l’autorité coercitive. On est comme du savon, on leur glisse entre les doigts... »

Un activisme jouissif et jubilatoire, à la portée de chacun. Suffit d’un nez rouge, d’un peu de maquillage blanc et d’une profonde volonté de soutenir la grandiose politique sarkozyste : « Tout le monde peut devenir clown et se transformer en supplétif du pouvoir. Il suffit de se bouger les fesses quand les choses ne vont pas assez loin, conclut Capsule. Regarde : en ce moment, il est encore possible de lire ’La société du Spectacle’ dans l’enceinte du Centre Pompidou. Où on va, hein ? »

C’est vrai, ça : où ?

jeudi 4 décembre 2008, par JBB

Notes

[1] Pour de très compréhensibles raisons, le bûcher est resté symbolique. La bibliothèque brûlera la prochaine fois

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