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vendredi 22 avril 2011

Par Hassane Boukar

L’agression impérialiste à laquelle fait face la Libye depuis trois mois ne vise nullement à protéger des populations civiles victimes d’un tyran, comme veulent nous le faire croire les puissances qui bombardent au quotidien le pays du colonel Kadhafi. Si la lutte du peuple libyen contre le régime vieillissant de ce dictateur est noble et mérite d’être soutenue, l’argument mis en avant par la France, les USA, la Grande Bretagne et leurs acolytes pour bombarder ce pays n’est qu’un prétexte. En réalité ces puissances coalisées ne visent qu’à prendre le contrôle de la Libye, pays producteur de pétrole aujourd’hui, puis l’espace sahélo-saharien riche en matières premières dans les années à venir.

Une analyse de ce qu’on appelle le « printemps arabe » montre bien le caractère singulier de la guerre qui se déroule aujourd’hui en Libye. Depuis plusieurs mois en effet, les rues arabes se soulèvent non pas seulement contre des régimes dictatoriaux mais aussi contre la subordination de la plupart des régimes arabes aux puissances occidentales comme les USA. Les rues arabes ont été le plus souvent en désaccord avec leurs roitelets de dirigeants, prêts à tolérer Israël pour être dans la grâce des USA ou de la Grande Bretagne. Depuis quelques mois donc, les arabes sont décidés à prendre le dessus face aux princes qui les gouvernent. De Tunis à Manama en passant par le Caire, on voit des jeunes battre le pavé pacifiquement, scandant leur rejet des princes. Il est important de préciser qu’à Bahreïn, à Tunis ou à la place Tahrir du Caire, les manifestants sont avant tout des citoyens aux mains nues. Malgré la répression féroce dont ils sont victimes, les yéménites n’ont que leurs slogans contre la soldatesque du régime Saleh.

Dans la foulée de ces manifestations presque classiques qu’on voit dans la plupart des pays arabes, un cas sort du lot et prend une dimension tout à fait dramatique et singulière : la guerre en Libye. En effet, lorsque les premières manifestations de rue, plutôt timides au départ ont commencé en Libye, presque personne ne doutait qu’on était dans le schéma tunisien ou égyptien ; qu’il s’agissait de ce printemps arabe qui a déjà emporté le Président Ben Ali et l’égyptien Hosni Moubarak. Mais très vite la scène change de décor à Benghazi et d’autres villes de l’est de la Libye : le manifestant ordinaire fait place petit à petit, et définitivement, à des insurgés bien armés, encadrés par la CIA et les services de renseignements britanniques et appuyés par l’élite militaire de ces pays. En lieu et place de l’image de la femme yéménite ou égyptienne qui larmoie sous l’effet du gaz lacrymogène à laquelle nous ont habitués les médias occidentaux, apparaissent sur nos écrans des insurgés qui réclament des armes afin d’affronter une armée régulière, comme s’ils s’étaient préparés de longue date à cette épreuve. Ces insurgés ont tout de suite bénéficié du soutien de la presse occidentale qui, à travers des reportages où le parti pris est flagrant, ont exagéré le nombre de morts dès le début du conflit. Le terrain ainsi préparé, il n’a pas été difficile à la France et aux USA d’arracher à l’ONU la fameuse résolution 1973. La suite on la connait : bombardements de cibles militaires comme civils, des partisans de Kaddafi comme des insurgés. Après plusieurs semaines de bombardement qui ont affaibli les capacités militaires de Kadhafi et au vu de l’incapacité des insurgés de venir à bout du dirigeant libyen, les coalisés réfléchissent aujourd’hui à tous les moyens permettant de mettre fin à ce régime. Il s’agit donc désormais de leur guerre contre Kadhafi et non celle d’insurgés libyens.

Pourquoi combattre un chef d’Etat qui s’est repenti, qui a reconnu ses responsabilités dans l’attentat de Lockerbie et qui cherche désormais à faire des affaires avec l’occident ?

Dans cette guerre, on connait bien l’homme à abattre. S’il était sur toutes les listes noires jusqu’en début de la décennie 2000, le colonel Kadhafi fait aujourd’hui figure de repenti et était devenu un allié des occidentaux jusqu’à la veille de ce conflit. Il y a seulement quelques mois, le tapis rouge était déroulé à son honneur à Paris et à Rome. Par contre, les gens d’en face, eux sont peu connus. Derrière l’appellation de Conseil national de transition (CNT), se cache une vraie nébuleuse aux contours mal définis. De l’avis même des médias occidentaux qui soutiennent cette guerre, les gens d’en face sont entre autres des « islamistes », des anciens « jihadistes », des « communistes » et même des « khomeynistes » ; c’est-t-à dire ceux que l’occident considère comme étant ses pires ennemis. C’est contre eux que les guerres les plus meurtrières de cette décennie ont été fomentées (Afghanistan, Irak …). C’est donc pour venir en aide à des Khomeynistes que Washington, Paris et Londres sont en alerte. On peut alors s’arrêter là et s’interroger sur la logique qui sous-tend cette guerre. Pourquoi faire tomber quelqu’un qui s’est repenti, qui a reconnu ses responsabilités dans l’attentat de Lockerbie et qui cherche désormais à faire des affaires avec l’occident ? Pourquoi combattre l’un des gendarmes le plus redoutable de l’occident contre les migrants subsahariens ? Si le dictateur Ben Ali, a été soutenu par l’occident des années durant et malgré la répression contre son peuple, c’est sous le prétexte qu’il combat les « islamistes ». Alors pourquoi détruire le régime de Kaddafi qui a réduit à néant toute velléité des « islamistes » dans son pays » ? La réponse à ces questions nous amène au cœur des raisons inavouables de la guerre livrée par l’occident en Libye. En réalité, l’agression contre la Libye n’est guidée que par la volonté des occidentaux de prendre en main le contrôle de l’espace sahélo-saharien. La Libye n’est donc que la porte d’entrée ! Cette guerre n’est qu’une étape qui annonce les guerres à venir dans la sous-région.

Depuis quelques années, la découverte d’importants gisements d’uranium et d’importantes réserves de pétrole dans les pays riverains du SAHARA comme le Tchad, le Niger ou la Libye attise les convoitises des grandes puissances sur cette région du monde. La France ancienne puissance colonisatrice est déjà très présente à travers ses principales sociétés comme AREVA ou Total ; les géants de pétrole américains et british sont aussi présents en Algérie comme en Libye. La Chine s’est également invitée dans cette région où elle investit dans l’uranium et le pétrole. Le pays de Mao est bien implanté dans le secteur pétrolier libyen à travers la CNPC. Cette présence des principales puissances concurrentes annoncent des lendemains conflictuels pour le contrôle des richesses du Sahara. La persistance de la crise financière mondiale et l’échec de la guerre en Iraq qui malgré son coût n’a pas permis aux USA de prendre un contrôle total du pétrole irakien attisent ces convoitises. Le Sahara et ses immenses richesses stratégiques ne peuvent donc échapper à une volonté de contrôle des grandes puissances. Les USA avaient déjà annoncé son appétit en créant son « armée pour l’Afrique » (Africom) qu’il veut justement installer dans cette partie du continent noir. Les Etats unis sont déjà actifs dans cette zone où ils forment les armées malienne, nigérienne, algérienne et mauritanienne. L’oncle Sam a des objectifs bien précis dans la zone. C’est par exemple sortir la Chine de cet espace. « De manière plus générale, Washington considère la présence de la Chine en Afrique du Nord comme une intrusion. D’un point de vue géopolitique, la Chine est un empiètement. La campagne militaire dirigée contre la Libye est destinée à exclure la Chine de l’Afrique du Nord  » écrivait Michel Chossudovsky, Directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (www.mondialisation.ca).

La France, puissance colonisatrice de la plupart des pays (Niger, Mali, Algérie, Tchad …) de la sous-région essaie quant à elle de faire prévaloir son « droit naturel » sur cet espace. Elle cherche d’ailleurs à installer une base militaire au Niger où elle dispose déjà d’un corps expéditionnaire de 80 hommes depuis plusieurs mois. C’est sans doute la volonté de contrôler les richesses de cet espace qui explique aujourd’hui cet acharnement à liquider coûte que coûte le régime de Muammar Kaddafi. C’est pour cela que toutes les alertes, y compris celles qui laissent croire qu’Al qaeda profite de cette guerre pour s’armer, ne dissuade les occidentaux. Loin de les inquiéter, une telle information fait d’ailleurs l’affaire des coalisés qui y trouve un prétexte en or pour se mettre aux trousses de la nébuleuse aux confins du Sahel. La diplomatie française affirme d’ores et déjà qu’au Niger, aucun endroit n’est sûr. C’est donc un territoire que la France se fera « le devoir de protéger » en installant éventuellement une ou des bases militaires. Il faut donc mettre la guerre en Libye dans son contexte et comprendre les enjeux réels. Si non les Etats sahélo-saharien seront surpris par la guerre à venir. Pour l’instant, l’Algérie est l’un des rares pays à comprendre les enjeux de ce conflit.

Voir en ligne : http://www.alternativeniger.org/spi...

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