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vendredi 17 août 2001

S’il est encore largement marginal sur le continent noir, Internet a pourtant tout pour séduire les populations locales.

Est-il opportun de poser la question de l’utilité d’Internet sur un continent, l’Afrique, où le minimum vital fait le plus souvent défaut ? En quoi un agriculteur burkinabé par exemple pourrait bien être concerné par une technologie dont l’infrastructure de base représente pour lui des années de salaire, et quand la route qui mène à son champ attend depuis des lustres un début de réfection ?

Ce voile de pudeur, les Africains le balaient eux-mêmes en arguant que les pays du Sud ont sans doute bien plus besoin d’Internet, et des nouvelles technologies en général, que les pays ayant déjà accompli leur développement. « Nombreux sont les individus qui craignent que ces technologies n’aient guère d’intérêt pour le monde en développement, et même qu’elles ne fassent qu’accroître les inégalités déjà criantes entre le Nord et le Sud, entre riches et pauvres », observe le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) dans son « Rapport mondial pour le développement humain 2001 ». « Faute d’une action publique innovante, elles pourraient effectivement constituer un facteur d’exclusion, au lieu d’un instrument de progrès. Mais si l’on s’attaque à gérer intelligemment ces nouveautés, les bienfaits pourraient l’emporter sur les dangers », notent encore les auteurs du document.

Pour un continent marqué par le délabrement des voies de communication classiques et par l’absence récurrente de structures sociales, Internet apporte potentiellement des solutions à des besoins concrets dans bien des domaines, que ce soit la santé, le commerce ou même la bonne marche des processus de démocratisation (voir ci-dessous). Le rapport annuel du Bureau international du travail sur l’emploi dans le monde soulignait récemment que les nouvelles technologies, moins chères à acquérir que les infrastructures industrielles traditionnelles, devraient contribuer à la réduction de la pauvreté, en offrant au tiers-monde la possibilité de brûler les étapes habituelles du développement, gourmandes en capital et en compétences humaines.

Cela dit, comme partout ailleurs, l’impact et l’efficacité de l’outil reste assujetti à l’ampleur de sa diffusion. Or, sur ce point, on ne peut que constater l’ampleur du décalage, du fossé numérique entre le Nord et le Sud. Si les pays de l’OCDE à revenu élevé (hors Etats-Unis, qui font la course en tête avec plus de la moitié de la population qui utilise le Net) comptaient l’an passé en moyenne 28,2 pc d’utilisateurs d’Internet, l’Afrique subsaharienne n’en comptabilisait au même moment que 0,4 pc (contre 0,1 pc en 1998), et les pays arabes 0,6 pc (contre 0,2 pc deux ans plus tôt).

La répartition entre pays africains est en outre très inégale. Avec 5 pc de sa population connectés, l’Afrique du Sud fait figure d’exception et abrite en fait la grande majorité des internautes du continent. Très loin derrière, on trouve le Sénégal avec 0,35 pc d’internautes, qui fait pourtant figure de pionnier de l’Internet en Afrique, suivi du Maroc (0,34 pc) et de l’Egypte (0,32 pc). Ailleurs, à de rares exceptions, le réseau se trouve dans un état encore plus embryonnaire.

Le Net, en dépit de la contribution qu’il semble pouvoir apporter au développement humain, serait-il dès lors condamné en Afrique ? Peut-être pas. Il est vrai que les données brutes laissent perplexe. L’accès est réservé à un nombre marginal d’utilisateurs, bien souvent des nantis d’ailleurs, et les capacités de flux d’information sont elles aussi largement limitées. On estime par exemple que pour l’ensemble du continent africain, le volume des connexions internationales disponibles ne dépasse pas celui d’une ville comme Sao Paulo au Brésil, elle-même très peu « branchée » par rapport aux grandes villes américaines ou européennes.

Reste que ces obstacles n’altèrent pas complètement l’enthousiasme que suscite Internet. D’abord parce que beaucoup pensent que l’outil est tout à fait adapté au mode de vie africain. C’est par exemple la conviction de Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (FNIG), qui déclarait dans une interview au site afrik.com, un portail dédié à la promotion d’Internet en Afrique, que l’économie africaine, faite de débrouillardise et d’échanges, fonctionne en réseau, comme Internet. « Pour moi, précisait-il, les Américains, en inventant Internet, ont inventé un outil « africain ». Non pas pour toucher tout le monde, mais pour que tout le monde soit touché. »

L’avenir du Net en Afrique se joue sans doute sur ce point. S’il est illusoire d’imaginer que le réseau emprunte les mêmes voies que dans les pays occidentaux, il est par contre tout à fait plausible de le voir adopter un profil spécifique qui réponde davantage aux usages culturels locaux.

Pour la plupart des observateurs, Internet se développe et se développera sur un mode communautaire. « Les accès sont et resteront nécessairement collectifs », explique Olivier Sagna, secrétaire général de l’Observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénégal (Osiris). Selon lui, il est illusoire de penser que d’ici dix, vingt ou même cinquante ans, l’Afrique peut rattraper son retard par rapport à l’Europe en termes de taux d’équipement des foyers. La solution passe donc par l’instauration de points d’accès publics au réseau, notamment par le biais d’actions associatives. « La tradition communautaire est fortement ancrée dans la culture en Afrique. La télévision, le téléphone et même la presse écrite se sont développés sur ce mode », rappelle-t-il.

Le taux d’équipement ne reflète donc pas la réalité. Chaque connexion ne sert pas qu’à une ou deux personnes comme chez nous, mais bien à des dizaines d’individus. L’émission que Dunia, le magazine des relations Nord-Sud de la RTBF, consacrait en juin dernier à la mondialisation montrait très bien cet aspect particulier du Net africain à travers le portrait d’initiatives locales permettant entre autres à une coopérative de 200 artisans d’écouler sa marchandise sur les marchés étrangers ou à des marins de connaître la météo.

Michel Mavros, fondateur à Dakar du premier cybercafé d’Afrique de l’Ouest, le Metisssacana, y expliquait que si le nombre d’abonnés sénégalais n’est officiellement que de quelques dizaines de milliers de personnes, les bénéficiaires du réseau étaient en fait au moins 250.000. Les utilisateurs bien sûr, mais aussi l’entourage familial et même au-delà. Le taux d’analphabétisme étant très important, il n’est pas rare qu’une personne demande à son voisin plus éduqué d’envoyer un mail à un proche installé à l’étranger.

Dès que le frein que représente un peu partout le monopole dont dispose encore les opérateurs historiques, et qui leur permet de maintenir des prix élevés - parfois supérieurs à ceux pratiqués en Occident !-, plus rien ne devrait s’opposer à l’intensification de l’utilisation d’un outil qui est déjà largement entré dans les moeurs.

Hier, les Africains se réunissaient autour de l’arbre à palabre. Demain, avec un petit coup de pouce du destin, ils pourraient bien devenir les griots du réseau.

© La Libre Belgique 2001 par laurent.raphael

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