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mardi 12 avril 2005

Liberation 11/04/2005- Selon l’ONG Oxfam, les producteurs des pays pauvres souffrent de la concurrence sur leur propre marché. C’est une scène tirée du dernier rapport d’Oxfam International, l’ONG britannique réputée pour ses réquisitoires contre la mondialisation libérale. Elle se déroule sur un marché de Tamale, au Ghana. Là, au milieu des étals colorés de fruits et légumes, des plateaux de riz local, cultivé dans les villages alentour, sont transportés par des commerçantes ghanéennes. Mais, à défaut de clients, elles voient toujours plus de passants attirés par des magasins remplis de grands sacs de riz blanc en provenance... des Etats-Unis, de Thaïlande ou du Vietnam. « Un exemple, selon Oxfam, des règles biaisées du commerce mondial du riz. »

L’ONG de lutte contre la pauvreté, respectée pour son expertise sur les racines du mal-développement, avait déjà dénoncé le cynisme des pays du Nord dès lors qu’il s’agissait de promouvoir leurs exportations de maïs, de lait, de sucre ou de coton. Cette fois, Oxfam a donc décortiqué le marché du riz, dans un système commercial mondial où les pays riches promettent qu’ils ont réellement l’intention de lutter contre la pauvreté. Sans pour autant garantir une agriculture au profit des populations les plus démunies.

Porte. Dans ce rapport intitulé « Enfoncer la porte », Oxfam estime que les prochaines négociations de l’OMC, en décembre à Hongkong, qui sont supposées promouvoir l’idée que le commerce peut être au service du développement, pourraient servir à enfoncer définitivement la « porte » des marchés agricoles des pays du Sud en réduisant les droits de douanes. Qu’elles viennent de pays compétitifs, comme le Vietnam, ou d’autres lourdement subventionnés comme les Etats-Unis, les importations de riz bon marché inondent de plus en plus les pays pauvres, anéantissant l’unique moyen de subsistance de dizaines de millions de familles rurales.

L’ONG dénonce aussi les politiques du FMI et de la Banque mondiale qui, au nom de la lutte contre un soi-disant protectionnisme, se sont soldées par une forte diminution des barrières douanières pour les importations de riz dans certains pays du Sud. « En 1995, le FMI a forcé Haïti à réduire ses tarifs douaniers sur le riz de 35 % à 3 %, entraînant une augmentation des importations de plus 150 % entre 1994 et 2003 », explique l’ONG. Résultat ? Dans l’un des pays les plus pauvres au monde, où plus de la moitié des enfants sont mal nourris, les régions rizicoles ont aujourd’hui une des concentrations les plus élevées de malnutrition et de pauvreté. Avec tout l’enchaînement économique pervers qui suit. En clair, les cultivateurs haïtiens qui ont vu débarquer un riz « étranger » moins cher, ont riposté en baissant leur prix, au détriment de leur mince budget d’éducation ou de santé. Le tout au profit des producteurs de riz américains.

Prix inférieur. Selon Oxfam, les Etats-Unis (troisième exportateur mondial) détiennent la palme des subventions versées à leurs producteurs de riz. « En 2003, le gouvernement américain a déboursé 1,3 milliard de dollars pour subventionner le secteur en encourageant les agriculteurs à produire une récolte qui a coûté en tout 1,8 milliard de dollars. » De telles subventions facilitent ainsi la vente de 4,7 millions de tonnes de riz à un prix inférieur de 34 % à son coût de production. Au Honduras, le riz subventionné aux Etats-Unis se vend moins cher que la production locale. Une aubaine pour les consommateurs les plus pauvres qui pourront « s’offrir » une nourriture moins chère, comme l’expliquent les tenants des théories du libre-échange. Mais voilà, au Honduras, cinq gros importateurs se partagent 60 % du marché du riz. « Quand les tarifs douaniers ont été abaissés, le prix à l’importation a chuté de 40 %, mais le prix d’achat au détail, lui, a en réalité augmenté de 12 %», souligne Oxfam.

Par Vittorio DE FILIPPIS

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