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Accueil du site > Réflexion > Lettre ouverte à celles et ceux qui vont voter "NON"

vendredi 13 mai 2005

Vous allez voter « NON » au prochain référendum sur le « traité constitutionnel européen » et je pense que vous avez parfaitement raison. Je ne m’étendrai donc pas sur les raisons qui vous amènent à ce choix puisqu’elles nous sont communes et partagées hormis, bien évidemment, les « raisons » qui sont celles de la droite nationaliste et/ou intégriste.

Ce qui m’incite à vous écrire c’est le sens de ce vote et surtout ses perspectives, les deux étant d’ailleurs intimement liés.

Si le « NON » est battu, tout sera comme avant, ou plutôt ira en empirant, et l’Europe, que nous ne voulons pas, se construira avec les drames et les conflits sociaux que nous prévoyons toutes et tous.

Et si le « NON » l’emporte ? Dans ce cas, les choses vont devenir à la fois intéressantes et délicates.

Quel sera le sens d’une victoire du « NON » ?

Plaçons nous au-delà du simple fait électoral et examinons la chose avec un maximum de lucidité et d’objectivité.

Ce « NON » sera probablement, en partie, un « NON » de politique intérieure... une sanction en quelque sorte du gouvernement. Soit ! et après tout pourquoi pas ?

Il sera aussi, je l’espère comme vous, un « NON » à une conception financière et libérale de l’Europe. Mais que va-t-il alors concrètement se passer ?

Passons sur la « soupe de grimaces médiatiques » (qui sera jouissive j’en conviens) des politiciens marrons le soir même dans les médias, et au tollé de l’Europe « bien pensante » dans les jours qui suivront.

Quel peut-être l’impact concret et réel d’un « NON » français ?. Peut-on imaginer un seul instant que, même s’il s’agit d’un pays comme la France, donc, tout de même, un des axes essentiels de la construction européenne, le processus mis en place depuis un demi siècle va être stoppé net ? Evidemment pas.

La construction européenne n’est pas qu’un échafaudage juridique et institutionnel qui s’adapte au grès de la variation des opinions publiques, il est en fait l’expression d’un système marchand qui, par ses exigences et ses impératifs, a modelé les institutions. Autrement dit, ce qui prime c’est l’organisation économique du système économique et c’est elle qui détermine le reste. Que ce système ait besoin, ne serait ce que, pour légitimer ce qui va suivre, du traité constitutionnel, c’est une évidence, mais qu’il en ait un besoin absolu, ça ce n’est pas vrai. Le système sait se passer de bonnes raisons démocratiques pour fonctionner. Il est impensable que les intérêts économiques et financiers en jeu en Europe soient sacrifiés à un « NON » français.

Je veux en venir à quoi ?

Simplement à dire que un « NON » français ne changera fondamentalement rien à ce qu’est aujourd’hui la construction européenne.

Je pense qu’il faille dire cela car la campagne du « NON » nourrit des espoirs insensés.

Contrairement à ce qu’insinuent les protagonistes institutionnels du « NON », un tel résultat n’ouvre aucune perspective concrète... sinon de dire « On a gagné »... ce qui est puéril. Que feront-ils, les protagonistes « officiels » du NON, le lendemain de la victoire du « NON »... ils vont se réunir... ça c’est sûr ! Mais encore ? Demander la démission du gouvernement ? Du parlement européen ? De la commission européenne ? Certainement pas... encore que !

Ils vont créer un comité, des comités pour « une autre Europe », « pour une alternance », « Pour.... et contre .... », essayer de « fédérer les NON », voire faire « un comité de salut public ».... Soit ! Mais pendant ce temps les affaires vont continuer, le système va continuer, les décisions seront prises... autrement dit rien n’aura été changé. Cela peut durer des mois... et rien ne changera.

Si quelque chose changera !... Comme pour les Danois en 1992, qui avaient rejeté le traité de Maastricht, on va faire pression sur l’opinion publique française, la culpabiliser, la manipuler, la « mieux informer »... pour finalement dans quelques mois l’amener à voter « comme il faut ».

Et puis, soyons lucides, en l’absence de projet alternatif au modèle marchand, de stratégie de changement social en Europe, qui va bénéficier politiquement du NON ? Quel sont ces leaders autoproclamés (en dehors de l’extrême droite) de la campagne du NON ? Des bureaucrates qui ont déjà été ministres et même l’un d’entre eux Premier Ministre et qui s’est même payé à l’époque le luxe de mettre en place un « plan de rigueuréconomique »... Et c’est à ces gens là qu’il faudrait faire confiance ?

Alors ?

Alors, ne rêvons pas, notre bulletin de vote n’a en soi aucun pouvoir, et l’on va s’en rendre compte une fois de plus,... ce qui ne veut pas dire qu’il faille ne pas l’utiliser... ça n’engage à pas grand-chose, mais cessons de nous illusionner. Toutes les circonvolutions pseudo démocratiques des politiciens n’ont pour objectif que nous faire croire que l’on sert à quelque chose et que notre opinion compte, alors qu’il est évident que tout se passe, du moins jusqu’à aujourd’hui, au dessus de nos têtes sans se préoccuper de ce que nous souhaitons.

La construction d’une autre Europe, d’une Europe comme nous la concevons, encore qu’il faudrait que l’on soit d’accord sur ce que nous voulons, passe par d’autres chemins que ce simulacre de démocratie formelle. Ce qui nous détermine ce ne sont ni le Parlement, ni la Commission mais bien le système marchand qui dicte ses conditions. Tant que nous limiterons notre action politique aux jeux électoraux stériles qui nous sont offerts et auxquels nombre d’entre nous se délectent et essayent par la même de se faire une notoriété pour eux et leur organisation, nous resterons ce que nous sommes, des otages « citoyennement consentants ».

Un système ne se combat pas avec les armes qu’il met à disposition de celles et ceux qui le combattent. La critique d’un système social n’a de sens que si on est capable de lui opposer concrètement une alternative crédible et viable.

A défaut de l’avoir compris nous allons une fois de plus au devant d’une cuisante déception. Saurons nous enfin un jour en tirer les leçons ?

Patrick MIGNARD

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