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mercredi 23 mars 2005

La manifestation lycéenne parisienne du 8 mars contre la loi Fillon est le révélateur d’un phénomène d’une extrême gravité. Bien évidemment cet aspect a été totalement « oublié » par les médias et les politiciens La gravité réside bien sûr dans le degrés de violence qui s’est exprimée, mais aussi et surtout dans l’incapacité politique et sociale d’une analyse et d’une réponse adéquates à de tels évènements.

Ce qui s’est passé le 8 mars à Paris est symptomatique de l’éclatement du tissu social et de l’attitude de l’Etat en pareille situation.

DECADENCE ET BARBARIE

Rappelons que l’Etat est le garant du système en place, en l’occurrence le système marchand. Sa fonction est moins d’apporter une solution aux contradictions qui sont fondamentalement les siennes (il ne le peux et ne le veux pas) que de mettre en place un dispositif qui assure la perpétuation des rapports sociaux qui le fondent... et ce, quel qu’en soit le prix.

Mais il y a un danger encore plus grand : en l’absence d’analyse, dont les partis politiques sont incapables, en laissant faire, en faisant jouer à ses mercenaires (gendarmes et policiers) un rôle, dans ce cas, purement passif, l’Etat cautionne les pires interprétations. En effet, comment ne pas voir dans ce déferlement de violence l’action de « bandes ethniques » si chères aux conceptions racistes de l’extrême droite. Cette violence dite « gratuite », qui est en fait l’expression de la dégradation ultime du lien social, l’expression la plus violente de l’exclusion, la haine se substituant à toute conscience (voir le « lunpum prolétariat » au 19e et 20e siècle) ne peut être que génératrice des plus graves et les plus aberrantes dérives politiques, dérives qui font le lit de l’état fort dans sa forme extrême, le fascisme ou quelque chose qui y ressemble. Nous n’en sommes pas là, mais c’est la « pente glissante » sur laquelle nous nous engageons.

Le système marchand a aujourd’hui perdu toute maîtrise des conséquences de l’essentiel de son fonctionnement, et ce, dans à peu prés tous les domaines. Il n’a plus affaire à une classe ouvrière qui demandait une part du gâteau et qui était prête à négocier. Il a affaire à une population exclue, méprisée, « ghettoïsée » qui n’a aucun avenir et est prête à tout pour survivre. Il n’a plus affaire à des « organisations responsables » capables de contenir la colère des exploité-e-s, mais à des exclu-e-s qui ne se reconnaissent dans aucune structure, qui ont perdus tous leurs repères. Sans pour cela disparaître l’exploitation contrôlable a cédé la place à l’exclusion incontrôlable, massive, structurelle, comme contradiction essentielle dans notre société et ce sont ces conséquences que l’on vit aujourd’hui.

LES RISQUES DE DERIVES

Ils sont immenses et aux conséquences incalculables. Rappelons nous le 20e siècle et ce à quoi nous ont conduit les inconséquences et la débilité politique de celles et ceux qui étaient censés nous conduire sur les chemins de « lendemain qui chantent ».

L’Etat, quel que soit la couleur politique de son personnel, ne sait et ne saura que défendre les intérêts du système qu’il représente. Il saura jouer des contradictions, des faiblesses, des ambiguïtés, des antagonismes, des fantasmes et des haines pour dévier les coups qui pourraient menacer l’ensemble du système... les médias sont les canaux de propagation de son idéologie, ses mercenaires, sa force brutale, ses institutions, sa caution démocratique... tant qu’il en aura besoin.

En période de décadence, l’Etat se révèle dans tout ce qu’il a de plus brutal, de plus abject, sans fard : la police qui a laissé les bandes agresser la manifestation lycéenne c’est le vrai visage et la fonction de la police... croire le contraire, c’est vivre dans le mythe, dans la croyance naïve d’une « police-service public »... elle a laissé faire parce qu’une telle attitude servait les intérêts de l’Etat et de son système. Même chose pour l’attitude des pouvoirs publics à l’égard des OGM, du nucléaire, des licenciements, des sans logis, des sans papiers,...

La dérive totalitaire est toujours potentiellement présente, même si elle ne s’exprime pas... Celles et ceux qui n’ont pas compris cela l’ont payé très cher au siècle dernier. Son expression est fonction des difficultés dans lesquelles se débat le système, de ses marges de manœuvre, du niveau de conscience et d’action des citoyens-nes grugé-e-s par les politiques anti sociales.

QUE FAIRE ?

Il est urgent de repenser l’action politique, la contestation sociale, la critique sociale. Repenser l’action politique dans une perspective historique et non pas électorale. Or de cela, les organisations politiques et les syndicats en sont incapables. Pourquoi ? Parce qu’ils sont devenus des bureaucraties plus soucieuses de leur confort matériel que d’analyses sérieuses et d’actions alternatives. Parce qu’ils sont devenus les gestionnaires d’une situation qui a court terme les arrange et est conforme à leurs intérêts immédiats, les seuls qui les intéressent. Parce qu’ils sont devenus les rouages régulateurs, reconnus, du système économique et politique dominant.

C’est donc aux citoyens-nes de contourner ces structures vermoulues et obsolètes qui ne peuvent, par leur incurie et leur compromission, que nous conduire au désastre, en ne leur accordant plus la moindre confiance.

C’est donc aux citoyens-nes d’organiser des structures alternatives

Le rapport aux institutions ne doit être que tactique, en aucun cas stratégique. La vie, la vraie vie citoyenne se construit en dehors des structures du système, un peu comme la bourgeoisie commerçante qui a construit l’embryon de son système en marge de l’Ancien Régime, dans les villes,...

Tout les indicateurs sociaux sont aujourd’hui au rouge : l’exclusion, la pollution, la destruction des sources d’énergie non renouvelables, le rapport au travail, le pouvoir citoyen,... La manifestation lycéenne du 8 mars est un indicateur supplémentaire, ignoré des politiciens qui, pour la plupart,n’ont vu qu’un épiphénomène somme toute marginal, trop occupés à leurs querelles d’appareil pour penser à l’essentiel, trop occupés par leurs petites et grandes affaires.

Il est aujourd’hui impensable de recommencer ce genre d’expérience, de faire vivre à des jeunes de telles scènes, de courir le risque qu’elles se répandent dans toutes les grandes villes, d’aboutir petit à petit à une guerre civile larvée, rampante qui permettra au système d’affiner sa domination et de détourner l’attention citoyenne des vraies raisons, des vraies causes d’une telle situation.

De même qu’il est politiquement absurde de se livrer pied et poings liés à la violence d’Etat devant un champs d’OGM, de même qu’il est absurde de faire une grève qui n’exerce aucune pression sur l’Etat et le patronat mais leur permet par contre de retourner l’opinion publique contre les grévistes, il est absurde de courir le risque de faire des manifestations des lieux d’affrontements qui font le jeu politique du pouvoir en place et qui attisent la haine entre citoyens-es... et ce n’est pas à la base un problème de « service d’ordre » comme le pensent certains bureaucrates.

Ce constat est difficile à assumer car être conscient de la situation et en tirer toutes les conséquences obliqe à procéder à des révisions déchirantes, que certains vivront comme des trahisons des traditions ouvrières, des traditions ancestrales qui ont fait la gloire des luttes passées... c’est d’ailleurs ce genre d’arguments qu’utilisent les bureaucraties syndicales pour.... ne rien faire d‘innovant. C’est difficile car il s’agit de faire preuve d’imagination et d’initiative pour impulser des rapports sociaux nouveaux, au travers de formes de luttes nouvelles.

Aujourd’hui nous ne faisons que reproduire des pratiques, des gestes, qui datent du 19e siècle sans se rendre compte que les conditions de développement du système marchand ont changé, sans se rendre compte que ses marges de manœuvres sont infiniment moindre qu’à cette époque, sans se rendre compte que les moyens de communication entre nous nous permettent ce que nos ancêtres n’auraient jamais osé imaginer et espérer.

Sans vouloir jouer les devins et autres « porteurs de mauvaises nouvelles », on peut dire que nous sommes à l’aube d’une situation dramatique, à l’aube d’un déchirement généralisé du tissu social, et la situation de mondialisation marchande ne peut qu’accélérer et aggraver le processus.

Rien n’est jamais inscrit dans l’Histoire quand aux réponses qui sont apportées aux situations. Notre époque ne fait pas exception, mais il est évident que nous sommes désormais devant un dilemme : subir ou agir. Le 20e siècle nous a montré les conséquences de la première attitude, reste la seconde en n’oubliant surtout pas que les périodes changent, les modes d’action aussi.

On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas.

Patrick MIGNARD

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