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jeudi 14 juillet 2005

31/05/2005 ( Maroc ) Mohamed Zainabi, André Linard

(Syfia Maroc/Belgique) Poussé et aidé par l’Europe à contrôler plus étroitement les Africains candidats à l’émigration, le Maroc pourchasse sans ménagement les clandestins. En avril, deux migrants sont morts près de l’enclave espagnole de Melilla. La semaine dernière, l’armée a fait plusieurs blessés dans une forêt proche de l’enclave de Ceuta.

Maroc

"Nous faisons appel à votre assistance et protection d’urgence parce que nous sommes pris en otage par les militaires marocains depuis 72 heures, privés d’eau potable et de nourriture et isolés du monde extérieur." Cet appel, envoyé le 23 mai, provient de la forêt de Belyounech, au nord du Maroc. Plus de cent-cinquante migrants subsahariens, dont des femmes et des enfants, y sont réfugiés. Ils affirment que le 21 mai, une incursion de l’armée marocaine a fait au moins trois blessés, pris en charge par MSF/Espagne. Juste au moment où Amnesty International, dans son rapport 2005, épinglait le Maroc pour les mauvais traitements qu’il inflige aux migrants subsahariens. "Des centaines de migrants (...) ont été arrêtés et expulsés. Certains ont affirmé que les forces de sécurité avaient fait une utilisation excessive de la force...", écrit Amnesty, selon qui deux Nigérians morts au mois d’avril auraient été abattus par les Forces marocaines de sécurité. L’information sur Belyounech est dès lors prise très au sérieux en Europe, où des manifestations de protestations sont prévues dans les prochains jours en Belgique, en France et en Espagne notamment. Contre les autorités marocaines, mais aussi contre la politique européenne de migrations. Les Ivoiriens, Congolais, Camerounais, Nigériens, Togolais, Soudanais et autres Africains qui vivent dans cette forêt, à sept kilomètres seulement de l’enclave espagnole de Ceuta, partagent en effet le même rêve : atteindre "l’Eldorado européen". Pour Lassine comme pour Camara, deux Maliens de 25 ans, c’est "une question de vie ou de mort". Quant à Pasteur, un Congolais de 26 ans qui a été déjà refoulé d’Espagne à deux reprises, il dit préférer vivre dans les conditions inhumaines de la forêt de Belyounech que dans l’enfer de son pays.

Le gendarme de l’Europe

Les plus anciens sont dans ce lieu perdu depuis plus de trois ans. Certains déclarent avoir atterri à Belyounech pour échapper à la guerre, d’autres pour fuir la misère. C’est parce que l’Europe a confié au Maroc un rôle de "gendarme" que ces candidats migrants vivent terrés dans des camps improvisés. En 2003 déjà, un rapport du Bureau international du travail sur l’émigration subsaharienne signalait que le but de l’UE était de transférer au pays de transit des responsabilités de contrôle qu’elle ne veut ou ne peut plus prendre en charge. L’Europe a donc exercé des pressions sur le Maroc pour que celui-ci se charge d’arrêter les Africains qui tentent d’embarquer pour l’Espagne. Elle pratiquerait même la politique de la carotte et du bâton, "offrant avec insistance" une aide économique et des moyens d’action pour exercer les contrôles aux frontières (comme par exemple des hélicoptères). L’accord de coopération UE-Maroc se compose d’un volet d’appui au contrôle frontalier d’un montant de 40 millions d’euros (environ 26 240 millions de Fcfa) et d’un volet d’appui économique d’un montant de 140 millions d’euros. Depuis février, des unités des forces de l’ordre de la ville de Tétouan, au nord du Maroc, ont pour mission de mener, en permanence, une véritable "chasse aux Africains" autour de la forêt. Pour forcer ces "recherchés" à quitter leurs cachettes, elles en bloquent les accès empêchant ainsi l’arrivée de l’aide fournie par la population du village voisin ou par quelques organisations humanitaires.

Vider les camps

Des témoignages recueillis au camp de Belyounech confirment que, de temps à autres, se produisent des incursions violentes dans la forêt pour déloger les candidats à l’émigration, refoulés ensuite à la frontière algérienne. A cause de cet "état de siège", les camps de fortune se vident. Ils accueillaient en 2004, plus de 2 000 migrants subsahariens. A la mi-mai, ce nombre n’était plus que de 500 et moins de 200 actuellement. Les derniers occupants de la forêt de Belyounech, affamés, prennent à leur tour de plus en plus de risques pour survivre. Ils peuvent à tout moment tomber dans les mains de leurs assaillants. Selon Khalil Jemmah, président de l’Association marocaine des amis et des familles victimes de l’immigration clandestine (AFVIC), les deux candidats à l’émigration morts en avril vivaient dans des camps de Gourougou, près de l’autre enclave espagnole de Melilla, plus à l’ouest sur la côte marocaine ; des camps qui avaient abrité 1 200 réfugiés avant d’être entièrement désertés. K. Jemmah estime que le Maroc, avec l’appui de l’Europe, a radicalisé ses méthodes de traitement des migrants subsahariens. Cette radicalisation, déplore le président d’AFVIC, ne fait que pousser les migrants à payer plus cher des passeurs et à prendre davantage de risques pour atteindre le vieux continent. Avec le même ton dénonciateur, une militante de SOS-Racisme/Espagne, qui pu entrer dans les camps de Belyounech le 28 mai, estime que le Maroc n’a pas le droit de considérer les migrants comme des criminels. En même temps, elle exhorte l’Europe d’arrêter de financer des violations aux droits de l’Homme que perpètre, selon elle, son gendarme nord-africain contre ces migrants.


« Nous sommes des gens ordinaires. Tout ce que nous demandons, c’est une vie normale, travailler, fonder une famille... »

C’est en ces termes que s’exprime Roland, un des nombreux migrants subsahariens bloqués aux frontières de l’Europe, dans la forêt de Bel Younech, au Nord du Maroc, à quelques kilomètres de l’enclave espagnole de Ceuta. Roland est diplômé d’études commerciales et il possède aussi un diplôme de dessinateur. Il a déjà réalisé de nombreuses planches pour un projet de bandes dessinées. A côté de lui, d’autres jeunes hommes diplômés, anciens fonctionnaires ou employés d’entreprises, d’anciens commerçants, des étudiants, des gens calmes, pondérés. Il y a aussi des femmes et des enfants, et des hommes parfois plus âgés.

Tous, ils ont été contraints de quitter leur pays, soit parce qu’ils y étaient en danger, soit parce qu’il leur faut trouver un moyen de faire vivre leur famille.

Parce que l’exil n’est jamais un choix, mais l’ultime possibilité de survie pour ces hommes et ces femmes qui se cachent aujourd’hui.

Mais l’Europe a fermé ses portes, et c’est au Maroc qu’ils attendent un avenir meilleur, dans des conditions de vie déplorables.

Dans le but de repousser plus loin ces hommes et ces femmes en quête d’un simple bonheur humain, l’Europe exerce depuis plusieurs années des pressions importantes sur les pays frontaliers de l’Union, tel que le Maroc. Afin de satisfaire aux exigences des dirigeants européens, le Maroc a accepté de surveiller ses frontières extérieures et fait preuve d’un zèle particulièrement répressif à l’encontre de ces populations civiles inoffensives.

En février, les forces de l’ordre marocaines ont bloqué l’entrée de la forêt menant aux campements de Bel Younech, empêchant ainsi les gens de sortirlibrement et d’accéder au village le plus proche, où ils avaient l’habitude d’aller chercher de quoi boire et manger.

Malgré la levée de cette surveillance quotidienne, les opérations de ratissage ont repris en mai. Ces rafles sont généralement accompagnées d’arrestations,de vols de nourriture, de saccage des cabanes, de violences et de blessures pour les personnes réfugiées, qui chutent dans la montagne en essayantde s’échapper. Ceux qui sont arrêtés sont refoulés vers la frontière algérienne, sans aucun souci de leurs droits, de leur pays d’origine, de leur devenir.

Dans cette traque, tous les coups sont permis. Oubliés, les beaux discours sur les droits humains. Ces droits ne sont valables que pour les hommesqui ont un visa Shengen. Les autres sont un peu moins que des hommes, du gibier, des criminels qu’il faut repousser, contrôler, expulser, enfermer.

La responsabilité de ces opérations de ratissage, ces refoulements, incombe certes aux autorités marocaines mais c’est aussi un choix de l’Europe.

Des personnes sont blessées, affamées, d’autres meurent noyées au large des côtes espagnoles ou sous les essieux d’un camion.

C’est le choix des dirigeants européens.

Nous demandons la cessation immédiate des opérations de ratissage et le respect des droits fondamentaux des personnes réfugiées dans la forêt de Bel Younech. Nous voudrions que les citoyens marocains et européens prennent conscience du caractère à la fois inhumain et illusoire de cette politique qui ne considère l’émigration que sous l’angle de la répression. Nous les appelons à agir avec nous, à faire savoir que cette répression, ce mépris, ne sont pas décidés en leur nom.

Signez l’appel : sos_belyounech@yahoo.fr

Plus d’infos sur le site : http://users.skynet.be/fb056229/index.htm

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