Pa l'arbre
Accueil du site > Afrique > Les “ventres creux” manifestent

dimanche 3 avril 2005

(L’Hebdo du Burkina du 01 au 07 avril 2005)

Pour la seconde fois, les Nigériens manifestent contre la hausse vertigineuse des prix depuis début 2005, liée à l’instauration de la TVA à 19 %, obligatoire dans tous les pays de l’UEMOA. Conjuguée à une très mauvaise saison agricole qui vide les villages, elle affame une grande partie de la population.

Journée morte dans les marchés, les services publics, les écoles du Niger ce mardi 22 mars. C’est la réplique du peuple au gouvernement, qui a interdit la manifestation prévue, pour protester une nouvelle fois contre la vie chère. Le mardi 15 mars déjà, 40 000 ventres creux (selon la police), 100 000 (selon les organisateurs) étaient descendus dans la rue, scandant des slogans contre la vie chère et hostiles au régime. Depuis l’adoption, le 4 janvier dernier de la loi de finances rectificative 2005 qui impose désormais une TVA de 19% sur tous les produits, même ceux dits de première nécessité, tous les prix sont montés en flèche : le lait, le sucre, les "tranches sociales de l’eau et de l’électricité", les jus de fruits, les boissons, les huiles alimentaires, le thé, la cola. Les produits qui ne sont pas concernés par cette mesure flambent aussi : le sac de mil de 100 kilos (aliment de base des Nigériens) a, lui, augmenté de plus de 35 %, celui du maïs de plus de 50 %, celui de 50 kg de riz est passé de 12 à 17000 FCFA (18 à 25 euros). Même la baguette de pain a subi une hausse de plus de 30% alors que la TVA, qui était déjà à 17 %, n’a augmenté que de 2 %.

Afflux de "parents du village"

Ces mesures interviennent dans un contexte de crise économique généralisée, avec cette année, des risques de famine dans plusieurs zones du pays gravement déficitaires en céréales et en fourrage. Dans de nombreuses régions comme Tanout, Fillingué ou Ouallam, on assiste à un exode massif des populations vers les centres urbains. En ville, les fonctionnaires, qui doivent faire face à un afflux massif de "parents du village", ne savent plus où donner de la tête. Car les salaires n’ont pratiquement pas augmenté depuis plus d’une décennie. Le SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti) est toujours à 18 000 Fcfa (27 euros), le prix du sac de mil de 100 kilos. "Vous vous plaignez de n’être pas rassasiés et l’on vous met à manger avec le chien", résume avec humour, un père de famille qui, entre l’éducation et la santé de ses enfants, ne sait plus quelle urgence satisfaire. A l’appel d’une trentaine d’organisations de la société civile réunies dans une coalition dénommée "Qualité, Equité contre la vie chère", des milliers de Nigériens de la capitale sont donc descendus massivement dans la rue la semaine dernière pour réclamer l’abrogation de ces mesures et une hausse des salaires. Une démonstration de force malheureusement entachée d’actes de vandalisme ce qui a donné l’occasion au gouvernement, surpris par l’ampleur du mouvement, d’arrêter une cinquantaine de dirigeants ou de manifestants. Conduits devant le procureur, plus des deux tiers ont été relâchés. Pourtant, le gouvernement n’a guère le choix. Du fait de la baisse du prix de l’uranium, principal produit d’exportation, l’État nigérien ne peut plus compter que sur les recettes fiscales (impôts et douanes) pour assurer ses dépenses Par ailleurs, il doit se conformer à une législation commune au sein de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) harmonisant la TVA à 19 %).

Un jeu démocratique peu nourrissant

Mais les Nigériens qui doivent chaque jour se serrer la ceinture voient d’un mauvais œil "la multiplication des privilèges et autres avantages indécents pour un pays archi-pauvre". Ils s’insurgent contre le gonflement de l’Assemblée nationale passée de 83 à 113 députés et contre l’installation des autres institutions constitutionnelles comme le Sénat. Ventre affamé n’a point d’oreille, l’opinion ne voit dans ces institutions publiques, pourtant prévues par la Constitution et censées garantir le libre jeu démocratique, que des charges supplémentaires pour un État qui dépend largement de l’assistance extérieure. Dans une enquête sur les jeunes et la politique, les jeunes Nigériens le disent clairement :"Les députés ? On ne les connaît pas parce que certains depuis qu’ils sont élus ne sont plus retournés au village. A l’Assemblée, ils ne nous représentent pas ; ils votent plutôt pour leur parti et bouffent tout l’argent".

Des manifestants poursuivi ici par des forces de l’ordre au Niger.

Les Nigériens n’aspirent qu’à accéder à un niveau de vie acceptable. Ils sont 60% à vivre avec moins d’un dollar par jour dans ce pays classé avant-dernier à l’indice de développement humain.

Ibbo Daddy Abdoulaye Syfia - Niger

 RSS 2.0Suivre la vie du site