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lundi 28 février 2005

Tabaré Vazquez prendra mardi ses fonctions présidentielles.

Les grandes figures de la gauche latino-américaine, à l’exception de Fidel Castro, vont se réunir mardi à Montevideo pour assister à l’investiture de Tabaré Vazquez, vainqueur des élections présidentielles au mois d’octobre. Son arrivée au pouvoir met fin à une longue période d’hégémonie des deux partis conservateurs qui menaient la vie politique uruguayenne depuis la fin du XIXe siècle.

Fidèle à ses habitudes, le président cubain a laissé plané le doute sur sa venue à Montevideo jusqu’au dernier moment. Un déplacement auquel il a finalement renoncé en raison de problèmes de santé. Annoncée depuis plusieurs semaines par les autorités uruguayennes, sa présence aurait représenté un événement à maints égards. Tout d’abord parce que le « lider maximo » n’a plus quitté son île depuis quatorze mois et que ses apparitions publiques ont diminué suite à une chute accidentelle le 20 octobre. Et ensuite parce que l’état des relations entre l’Uruguay et Cuba ne pouvaient pas laisser augurer d’une telle visite sous le mandat du président sortant, Jorge Batlle. Ce dernier s’était engagé dans une vive polémique avec Fidel Castro en mars 2002 qui avait débouché sur la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. La colère de Cuba avait été déclenchée par la décision de l’Uruguay de proposer à la Commission des droits de l’Homme des Nations unies l’envoi d’une mission d’inspection sur l’île, une initiative catégoriquement rejetée par Fidel Castro qui avait accusé Jorge Batlle d’être le « laquais » des Etats-Unis. Les futurs échanges entre l’Uruguay et Cuba s’annoncent, eux, beaucoup plus cordiaux puisque la cérémonie d’investiture coïncidera avec la reprise des relations diplomatiques.

Contrairement à Castro, plusieurs présidents latino-américains feront le déplacement pour l’investiture de Tabaré Vazquez, tels que le Vénézuélien Hugo Chavez, qui enchaînera sur une série de visites le conduisant jusqu’à Paris le 6 mars, le Brésilien Luiz Inacio Lula Da Silva, l’Argentin Nestor Kirchner ou le Chilien Ricardo Lagos. Même s’ils ne partagent pas les mêmes idéaux politiques, tous ces hommes ont en commun d’être des dirigeants progressistes et de faire partie du mouvement de la « nouvelle gauche » qui ne cesse de gagner de l’influence en Amérique Latine. Et ils ne pouvaient manquer de venir saluer l’accession au pouvoir du candidat du Front élargi, une large coalition qui va du parti communiste aux sociaux-démocrates, dans un pays qui, depuis sa création en 1828, n’a vu se succéder dans le fauteuil présidentiel que des libéraux et des conservateurs.

L’artisan de cette alternance historique est un médecin cancérologue âgé de 65 ans. Tabaré Vazquez a obtenu 50,5% des votes lors de l’élection présidentielle organisée le 31 octobre, qu’il a ainsi gagnée dès le premier tour. Il s’était déjà présenté deux fois aux présidentielles, parvenant même à gagner le premier tour en 1999 avec plus de 40 % des voix. Maire de la capitale uruguayenne entre 1990 et 1995, cet homme d’origine modeste jouit d’une grande popularité dans son pays. Sa passion pour le football l’a amené à assumer à la fin des années 70 la présidence du club « Progreso ». Marié et père de trois enfants, il a eu l’occasion au cours de sa carrière professionnelle de venir effectuer un stage en France, à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif. Et il a assuré qu’il n’abandonnerait pas complètement l’exercice de la médecine malgré ses fonctions présidentielles. Une alliance contre la pauvreté

Tabaré Vazquez risque pourtant de n’avoir que peu de temps à consacrer à ses patients en raison de l’ampleur de la tâche qui l’attend. L’Uruguay a vécu en 2002 une terrible crise financière qui a de très lourdes séquelles sociales. Si le taux de chômage officiel est d’environ 13,5%, il dépasse, dans les quartiers les plus défavorisés, le seuil des 40 %. Dans ce pays qui ne compte que 3,4 millions d’habitants, près de 900 000 d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Et ce pays qui avait su pendant des décennies cultiver l’image d’un Etat protecteur, beaucoup se retrouvent désormais privés de toute protection sociale. Et si la pays a retrouvé l’année dernière le chemin de la croissance, son économie souffre notamment du poids de l’énorme dette publique.

Saluées par le Fonds monétaire international qui juge les « finances publiques plus fortes », certaines des mesures drastiques appliquées par Jorge Battle sont à l’origine du désir de changement politique exprimé par de nombreux électeurs. Pour Tabaré Vazquez, le défi va donc être de réussir à appliquer une politique sociale différente avec une marge de manœuvre budgétaire limitée. Il aura l’avantage de pouvoir compter sur un large soutien parlementaire, la coalition du Front élargi possédant la majorité des sièges dans les deux chambres. Parmi ses représentants au Sénat se trouve notamment José Mujica qui appartient au Mouvement de participation populaire, héritier politique de la guérilla des Tupamaros. Disant croire dans le « capitalisme sérieux », José Mujica ne prône absolument pas l’abandon des règles de l’économie de marché en Uruguay. Mais lui et ses pairs devraient défendre les intérêts des classes qui ont le plus souffert ces dernières années.

L’arrivée au pouvoir de Tabaré Vazquez devrait, par contre, se traduire par une l’inflexion de la politique étrangère du pays. Reinaldo Gargano, qui assumera les fonctions de ministre des Affaires étrangères, a insisté sur l’importance de renforcer l’intégration latino-américaine en s’appuyant sur un « axe vertueux » qui passe notamment par le Chili, l’Argentine, le Brésil et le Venezuela. Cet « axe vertueux » doit permettre de lutter contre l’extrême pauvreté qui frappe cette région et qui, selon Gargano, est une « insulte à l’intelligence et presque un délit de lèse-humanité ». Et il juge essentiel que les pays sud-américains parviennent à renforcer leurs échanges entre eux, de manière à constituer un bloc fort capable de négocier avec les Etats-Unis ou l’Union européenne.

par Olivier Bras - RFI

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